Depuis six ans qu’il offre aux lecteurs un contact direct et intense avec les auteurs, Le livre sur les quais a envie de faire encore un peu plus. Désormais, il encouragera directement la création. Avec ses huit partenaires libraires indépendants, il instaure le Prix des libraires du Livre sur les quais.
Qui vote?
Au public de choisir ! Le roman vainqueur est désigné par les lecteurs, en votant sur le site internet du Livre sur les quais ou sur un bulletin de vote distribué dans les librairies partenaires.
Les délais ?
Il est possible de voter pour son livre préféré depuis le 4 avril jusqu'au 15 août.
Qui a choisi les romans en compétition ?
Les huit librairies partenaires et le comité de programmation du Livre sur les quais ont chacun choisi un roman paru entre septembre 2015 et mars 2016.
Les livres sélectionnés
1. Une forêt d'arbres creux, de Antoine Choplin (éd. de La Fosse aux Ours)
2. Le garçon sauvage, de Paolo Cognetti (éd. Zoé)
3. Histoires, de Marie-Hélène Lafon (éd. Buchet Chastel)
4. Le grand marin, de Catherine Poulain (éd. de l'Olivier)
5. La femme au colt 45, de Marie Redonnet (éd. Le Tripode)
6. Percussions, de Matthieu Ruf (éd. de l'Aire)
7. Une vie entière, de Robert Seethaler (éd. Sabine Wespieser)
8. D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds, de Jón Kalman Stefánsson (éd. Gallimard)
9. Kannjawou, de Lyonel Trouillot (éd. Actes sud)
Quand sera connu le gagnant ?
Et le vainqueur est... Le lauréat sera proclamé et se verra remettre le Prix le 3 septembre à Morges.
Antoine Choplin (La fosse aux ours, 2015)
Une forêt d’arbres creux est le récit de déportation de Bedrich Fritta, caricaturiste tchèque. Il arrive en 1941 avec sa femme et son fils d’à peine un an, dans la ville-ghetto de Terezin pensant échapper au pire. C’est un bon endroit, Terezin, répète-t-on. La famille est séparée, et Bedrich intègre le bureau des dessins où il sera nommé responsable.
Le jour il dessine des plans architecturaux pour le besoin du ghetto.
La nuit il se retrouve clandestinement avec les autres pour rendre compte de la réalité de Terezin.
Antoine Choplin sait manier l’écriture et l’ajustement des mots pour raconter ce qu’a été ce ghetto, ce camp de concentration. Au travers des chapitres portant chacun le nom d’une des œuvres de Fritta il construit un texte très fort, empreint d’émotion et qui marque le lecteur par son humanisme.
Une fois de plus, cet auteur discret, suivi d’un public toujours plus nombreux, nous montre que l’art est fort pour témoigner contre la barbarie.
Ce livre, et tous les autres d’Antoine Choplin, remplit toutes les conditions de ce que j’aime en littérature : une histoire forte, de l’émotion, un exemple de vie, de la générosité. Une littérature indispensable.
Sélectionné et présenté par Véronique Rossier de la Librairie Nouvelles Pages, Carouge
Paolo Cognetti (Zoé, 2016)
Second ouvrage traduit en français de Paolo Cognetti, né à Milan en 1978, Le garçon sauvage est un très beau texte, tant par sa langue que par la richesse du propos. Il se présente comme un carnet dans lequel est relatée l’expérience du narrateur parti vivre dans les hauteurs de la vallée d’Aoste durant plusieurs saisons. Chaque chapitre, sorte de petite nouvelle, explore un sujet de préoccupation lié à la vie en montagne. L’hiver, la nuit, la maison, le jardin, les larmes constituent autant d’éléments que le protagoniste cherche à maîtriser pour se rapprocher du garçon sauvage qu’il a été lors de nombreux étés passés dans les alpages. Il tente de redonner corps à cet enfant, mais une difficulté majeure l’en éloigne : la solitude. Elle rend toutefois ses rencontres d’autant plus précieuses. Il s’attache à Gabriele et Remigio. Le premier est vacher, s’exprime peu et en dialecte, le second refuse de s’exprimer seulement dans une langue qui ne peut dire la tristesse, la nostalgie et la lassitude qu’avec un seul mot : mi sembra lungo. Pour enrichir un vocabulaire pauvre, Remigio lit tant qu'il peut. L’idée d’une langue embellie par la lecture fait écho à la démarche de Paolo Cognetti, qui, tout au long du récit, cite ses maîtres : Mario Rigoni Stern, Primo Levi, Thoreau.
Sélectionné et présenté par Agathe Beaumont de la Librairie La Méridienne, La Chaux-de-Fonds
Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel, 2015)
Marie-Hélène Lafon est fille de paysan, elle a grandi dans le Cantal, au bord d'une rivière qui a pour nom Santoire.
Partie étudier le latin et le grec à Paris, elle empoigne l'écriture à 36 ans, se met à l'établi comme elle aime à le dire.
Dans son recueil de nouvelles, intitulé Histoires elle donne vie à des êtres qui ont du corps, elle donne à voir, à toucher, à goûter, à écouter, à respirer, le verbe se fait chair.
Ses textes sont des litanies, des labours, des semences, des enfantements. Marie-Hélène Lafon gratte, charpente, défriche, fourmille.
Son travail d'écriture trace des sillons, en profondeur, jusqu'à la racine, il est patient, inépuisable.
Ce qu'elle appelle ses chantiers, c'est la substance, "la viande, c'est vivenda, de vivre, c'est ce qui sert à vivre, c'est le vivant, la matière même du monde, avec les arbres, l'échelle, la grand-mère, le rôti, le pré gras, la fille, le garçon, les beaux fruits, la ferme louée, la balançoire, le vent, le bleu, la Sorbonne, le pensionnat, l'espalier, et tout le reste".
Le père, la mère, les soeurs, Antoine, Roland, Jeanne, Yvonne, Germaine, Berthe, et tous les autres rencontrés dans les entrailles de ces Histoires me font face, je suis en territoire connu, en parenté avec ce monde-là.
Je vous remercie Marie-Hélène Lafon d'avoir mis en mots ce lieu des origines "ses silences, son écrasement, ses douceurs, ses grâces têtues, sa mort longue, sa vaillance"
Sélectionné et présenté par Dominique Riat de la Librairie Albert le Grand, Fribourg
Catherine Poulain (Edition de l'olivier, 2016)
Dès la première page de ce livre j'ai été envoûtée par l'intensité qui s'en dégage, l'urgence pour cette toute jeune femme de se sauver, fuir et sauver sa peau. Son choix: la pêche en Alaska! Elle réussit à être embauchée sur un bateau. Dans ce coin du monde, la nature est dure, les conditions de travail effroyables et les hommes font ce qu'ils peuvent pour survivre. Un monde d'hommes justement, des durs, des cabossés avec qui elle tisse des liens empreints de respect et parfois de tendresse.
Il y a aussi la rencontre du grand marin, une histoire d'amour loin du conte de fées…
L'auteure est inconnue, elle a travaillé dix ans sur des bateaux de pêche en Alaska, elle est actuellement bergère en Haute-Provence. C'est son premier roman. Il est empreint du réalisme le plus cru, d'une compassion pour les êtres bouleversante, et de descriptions de la nature saisissantes. Un véritable roman d'aventure, un des meilleurs que j'aie lus!
Sélectionné et présenté par France Rossier de la Librairie La Fontaine, Vevey
Marie Redonnet (Le Tripode, 2016)
Marie Redonnet a retrouvé sa voix, après plus de dix années de silence. Et quelle voix !
Celle de Lora Sander, comédienne dans un pays tombé sous le joug d’une dictature. Elle ne peut plus exercer son métier, va être emprisonnée. Elle prend le chemin de l’exil. Non pas pour fuir, mais pour se sauver. Seule pour la première fois, munie de son colt 45, hérité de son père. Un héritage assumé, tout en symbole, celui de la violence masculine pour Lora. Dont elle finira par se libérer et trouver son propre chemin.
Un roman construit comme une pièce de théâtre, des didascalies en introduction de chapitre. Une écriture minimaliste en apparence, qui donne force à la thématique : le combat des femmes pour leur(s) liberté(s).
Sélectionné et présenté par Nicole Brosy de la Librairie Page d’encre, Delémont
Matthieu Ruf (Editions de l'Aire, 2016)
Ce premier roman se signale par un style personnel, original, parfaitement maîtrisé, et commence bien : "Je suis l'écorce d'un arbre contre ma main nue, au fond du verger de mon enfance."
Des moments de vie forment un récit tendu qui révèle au final une construction rigoureuse. Au chevet de sa soeur plongée dans le coma, un homme se souvient de scènes de son existence, au travers de sensations auxquelles il s'identifie - elles le constituent. Ne sommes-nous pas l'addition des instants de notre vie ? A cet égard, un roman existentaliste, en quelque sorte La nausée sans la théorie ! Dans l’esprit d’un homme jeune du 21e siècle…
Ou comment le narrateur cherche la réponse à une question posée par sa sœur quelque temps avant son accident. Une réponse composée par le puzzle de ces instants vécus qui imperceptiblement nous font devenir nous-mêmes.
Ce bref roman lucide et attachant se termine bien aussi : "Je suis le poids du corps de mon neveu sur mon dos. (...) Dans le silence, je suis le poids de ce corps sur moi, une vie sur mon dos, j'existe tout entier dans cette pesanteur, et je garde les yeux ouverts."
Sa publication constitue la récompense du Prix Georges-Nicole, qui couronne en 2016 le manuscrit de Matthieu Ruf.
Né en 1984, blogtrotter de L’Hebdo puis journaliste, il a obtenu un Master en pratiques artistiques contemporaines (littérature) à la Haute Ecole des arts de Berne. Co-fondateur du collectif d’auteurs AJAR, il participe à des projets d’écriture et de performances et s’adonne au chant lyrique.
Sélectionné et présenté par le comité de programmation du Livre sur les quais
Robert Seethaler (Editions Sabine Wespieser, 2015)
"Enfant, Andreas Egger n'avait jamais crié de joie, voire crié tout court. Jusqu'à sa première année d'école, il n'avait même pas vraiment parlé. Il s'était constitué non sans peine un petit pécule de mots qu'il se disait tout haut en de rares moments et assemblait au hasard. Parler voulait dire attirer l'attention, ce qui pour le coup ne présageait rien de bon." Une vie entière de Robert Seethaler est incontestablement ma dernière grande émotion littéraire. Un roman bouleversant qui nous conte la vie d'un homme simple et modeste, sans signe particulier hormis sa capacité à traverser l'histoire de son pays, les années et les drames de l'existence sans plaintes ni apitoiement. Pour lui un homme "doit élever son regard, pour voir plus loin que son petit bout de terre, le plus loin possible". L'écriture précise et les mots toujours pesés de Robert Seethaler ont su créer un roman fort, poétique, empreint d'une mélancolie qui ne tombe jamais dans le pathos. Un vrai tour de force. La vie ordinaire d'un homme ordinaire. Et si c'était beaucoup plus grand que cela ?
Sélectionné et présenté par Céline Besson de la Librairie l’Etage, Yverdon-les-Bains
Jón Kalman Stefánsson (Editions Gallimard, 2016)
D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, le dernier roman de Jón Kalman Stefánsson, auteur islandais à l’immense talent, est encore plus beau que ses livres précédents (Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le cœur de l’homme).
Ari, la cinquantaine, a quitté l’Islande après l’échec de son mariage. Un appel de son père, très malade, le fait revenir à Reykjavíc.
Un diplôme retrouvé lui rappelle l’histoire de sa famille, celle de son grand-père, le mythique Oddur et de sa femme, l’étrange Margret. Il se souvient de sa mère, disparue alors qu’il était tout jeune, se remémore son père qu’il n’a jamais su comprendre, revoit sa propre jeunesse.
Une chronique familiale en trois temps qui est aussi celle de son pays.
Et puis il y a la présence de cette nature sauvage, rude, violente, impitoyable, particulière à l’Islande, qui est un personnage en soi.
Le roman de Stefánsson nous interpelle. Quelle que soit l’époque dans laquelle il vit, malgré les changements de mœurs et l’évolution de la technologie, l’individu n’échappe pas à son humaine condition. Ses préoccupations sont toujours les mêmes : la quête de l’amour, la recherche d’un sens à sa vie, l’angoisse du temps qui passe, la peur de la mort…
L’essentiel de ce livre se trouve peut-être entre les lignes, dans cette respiration si poétique, propre à Stefánsson.
C’est terriblement beau.
Sélectionné et présenté par Françoise Berclaz-Zermatten de la Librairie La Liseuse, Sion
Lyonel Trouillot (Actes Sud 2016)
Quelle force dans ce récit tranchant, puissant mais avec toute la tendresse dont Lyonel Trouillot irrigue son écriture. Nous y suivons la Bande des cinq, gamins élevés par le quartier du Grand Cimetière, à l'ombre des morts, sous l'aile protectrice de Man Jeanne. Ils tentent de croître dans la beauté et la violence de la résistance. Résistance à l'occupation américaine, à l'occupation des ONG, à l'occupation des pensées et des corps.
Ils sont là, sur les bordures de trottoirs, à attendre cette fête de la liberté qui ne vient jamais. La fête, c'est pour les riches et les fonctionnaires internationaux au bar, le Kannjawou, et la liberté pour personne. La Bande des cinq veut s'en sortir. Mais, peut-on s'en sortir sans fuir, sans renier ni abandonner ?
Trouillot signe ici un récit charnel qui colle à nos muscles et à nos poumons comme la poussière des rues. Un livre pour libérer nos âmes occupées, elles aussi.
Sélectionné et présenté par Jacques Houssay de la Libraire du Boulevard, Genève