Marie Darrieussecq, Être ici est une splendeur

Etre ici est une splendeur (P.O.L. 2016) le dernier livre de Marie Darrieussecq, auteure de Truisme (P.O.L. 1996), est une petite merveille.
Il nous raconte la vie de Paula M. Becker, peintre allemande née au 19ème siècle, parfaitement inconnue en France.
Marie Darrieussecq a découvert l’existence de Paula M. Becker sur un carton d’invitation à un congrès de psychanalyse. Sur ce carton figurait une toile représentant une "Mère allongée avec enfant" datant de 1906.
Marie  n’avait jamais rien vu de pareil, d’aussi intense, d’aussi fort.  Elle  part à la découverte  de cette femme peintre, s’aperçoit qu’elle est  célèbre   en Allemagne, née en 1876 à Dresde  et morte à 31 ans  des suites d’un accouchement difficile, en murmurant "Schade".
Pour écrire son livre Marie Darrieussecq s’inspire du journal de Paula ainsi que de sa correspondance, notamment avec Rilke qui fut très proche d’elle; il était l’époux de sa meilleure amie, la sculptrice Clara Westhoff.
Toute jeune Paula se met à peindre, très vite elle rejoint une colonie d’artistes qui prônait le retour à la nature, installée près de Brême. C’est là qu’elle rencontre Otto Modersohn, peintre lui aussi  qui deviendra son mari.
En 1900 elle est à Paris au moment de l’Exposition universelle. Elle s’imprègne  de tous les courants de l’époque, l’impressionnisme, le fauvisme, le cubisme, étant elle-même une représentante de l’expressionnisme allemand. Ses maîtres sont Cézanne, Gauguin, Picasso.
Elle n’a qu’une idée, peindre,  peindre, peindre, comme si elle avait conscience que sa vie allait être courte. On a retrouvé après sa mort un nombre incroyable de toiles, environ 750 et près de 1000 dessins.
Ses tableaux représentent des enfants, des femmes, souvent nues, des maternités, elle est d’ailleurs la première à poser enceinte, nue jusqu’à la taille.
Dans son journal son mari Otto critique sa peinture:
"Elle déteste le conventionnel et tombe maintenant dans l’erreur de préférer l’anguleux, le laid, le bizarre, le dur. Ses couleurs sont formidables - mais la forme? L’expression! des mains comme des cuillères, des nez comme des épis, des bouches comme des blessures, des visages de crétins. Elle charge tout."
C’est justement  cette manière de peindre, sans concession au "joli", à la convention, qui a vraiment plu à Marie Darrieussecq.
Paula  M. Becker était une femme indépendante, libre, dans sa vie, dans sa peinture, qui peignait le monde avec l’acuité de son regard, sans enjoliver, au mépris des critiques. Les  femmes qu’elle représente  sont simplement elles-mêmes, soustraites à la vision de l’homme, dans la réalité de leur vie quotidienne, dans leur nudité, dans leur vérité. C’est beau et fort.
L’ombre de Rilke rôde tout au long du livre et d’ailleurs le titre  "Etre ici est une splendeur", est un vers des Elégies de Duino. Elle donne un ton poétique au récit, enveloppe de mystère  l’œuvre de Paula M. Becker, si particulière, si personnelle.
Marie Darrieussecq dit vouloir faire revivre Paula. Pari  réussi: le livre refermé on a qu’une envie, prendre un TGV pour Paris, découvrir de visu les toiles de Paula Becker exposées en ce moment au Musée d’Art moderne jusqu’au 21 août.
Merci Madame Darieussecq de nous avoir fait découvrir, grâce à votre intuition, votre sensibilité et votre belle plume, le talent d’une femme libre, incroyable, à qui Rilke a dédié son "Requiem pour une amie".

FBZ, Librairie La Liseuse