Le salon d’une autre
Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.
Le train ou l’avion ?
Pardon ?
Je relis le courriel une seconde fois. C’est pourtant clair : concernant le trajet de Bruxelles à Morges, comment aimerais-je voyager, par le rail ou les airs ?
C’est là que j’ai eu mon premier soupçon. Ils avaient dû se tromper sur la personne. Me prendre pour une compatriote. Amélie N. par exemple. C’était presque humiliant !
J’ai fait celle qui trouvait ça normal. Autant en profiter un peu, ça ne durerait pas. Merci, mais non merci, leur ai-je répondu un peu désinvolte, je prendrai ma voiture. Comme si seul son confort me convenait. S’ils voyaient l’engin !
Comme il me plairait ! Je pourrais alors rejoindre mon hôtel directement. Il se situait à quelques enjambées du salon, face au Lac. Là je serais attendue à l’accueil du Livre sur les quais. Attendue ?
Oui, attendue, il fallait bien qu’on m’escorte à ma table, qu’on me décerne mes bons pour les repas et les différents restaurants de la ville où je pourrais les prendre, qu’on me confirme l’heure et l’endroit pour le débat et… C’était vraiment louche cette histoire ! J’en étais certaine à présent, une confusion avait dû se produire. Ou bien était-ce une farce ? Une farce de mauvais goût.
Leur dire ? Oui mais quoi ? Heu, je ne suis pas celle que vous croyez ? Absurde.
Alors j’ai été à Morges. Comme l’aurait fait Amélie N., savourant presque l’équivoque. On verrait bien.
J’avais pris le parti de rester moi. Un grand chapeau noir et des lèvres rouges auraient transformé le joyeux quiproquo en triste mascarade. J’attendrais donc avec un mélange d’amusement et d’angoisse le moment de l’incontournable coming out.
La ville, l’hôtel, l’accueil, les gens, le Léman, et même le soleil. Tout m’est tombé dessus sans anicroche.
Mais c’est lorsqu’on m’a présenté mes voisins de fortune que j’ai vraiment paniqué. Ils étaient adorables, ces auteurs-là. Ravis. Ils n’avaient pas ce sourire obligatoire qui attire ou refoule les visiteurs, selon. Non, ils étaient vraiment contents.
J’avais une table avec vue. Sur le lac.
Je m’y suis assise un peu tremblante. C’étaient bien mon nom et ma photo sur l’affiche qui désignait ma place. Devant mon trouble, un bénévole m’a proposé de l’eau. Il repasserait régulièrement, je n’avais pas à m’inquiéter. Je ne m’inquiétais pas du tout. J’étais terrassée !
Il y eut le discours d’ouverture, puis les badauds sont entrés. Des flâneurs du livre.
Je ne connais pas bien les Suisses ! Fallait-il leur faire la conversation si dans un moment de faiblesse ils osaient caresser du bout des doigts un de mes romans ?
Un court instant, il me sembla que l’enchantement se rompait enfin. L’homme de passage m’avait regardé avec surprise, puis m’avait lancé avec malice : « Je ne vous connais pas, vous ! » Je n’ai pas eu le temps de remettre de l’ordre dans mon amour-propre qu’il s’était déjà saisi de mon dernier roman en argumentant son geste d’un : eh bien, j’ai très envie de faire connaissance avec votre travail ».
Le pire, c’était que la plupart d’entre eux souffraient du même syndrome de curiosité, de simplicité et de grande sympathie.
Alors j’ai fini par cesser d’attendre que le charme s’envole et durant trois jours j’ai profité d’être Isabelle B. Tout simplement !
Isabelle Bary