Votre mission, si vous l’acceptez

Votre mission, si vous l’acceptez: faire tenir l’ensemble du programme du Livre sur les quais dans les 20 pages au format livre d’un supplément du quotidien suisse 24 Heures. Votre équipe: Sylvie, spécialiste en organisation et planification, négociatrice hors pair, elle assurera la conduite de l’opération; Valérie, médiatrice culturelle aguerrie, spécialiste en activités jeunesse, elle fournira l’appui tactique; vous-même, spécialiste en communication, votre tâche sera de tenir le journal de campagne.

À la lecture de ce supplément, n’importe quel visiteur devra pouvoir, en quelques secondes à peine, se faire une idée précise des activités auxquelles il va pouvoir prendre part pendant la durée exacte de sa présence sur les quais de Morges. S’il veut faire une croisière, un long bateau blanc devra l’asperger instantanément d’embruns lacustres, si c’est une lecture à laquelle il veut assister, des mots portés par une voix mélodieuse devront agripper son oreille et ne plus la lâcher, si c’est un écrivain qu’il souhaite rencontrer, l’auteur tant aimé devra se dresser sur la page et se diriger vers lui à longues enjambées! Couleurs, logos, typographies: ne négligez aucun stratagème! Ce supplément devra être pensé pour ce lecteur, personnellement.

Ne vous laissez pas décontenancer par les propositions de ces hommes qui seront assis, souriants, de l’autre côté de cette longue table suspendue au-dessus de cet espace de travail immense aux innombrables ordinateurs organisés en rond comme à la bourse, là, au pied même de la gigantesque tour de verre du groupe Edipresse! Ces hommes sont nos alliés, cela va sans dire, mais ils ont également, c’est tout naturel, leurs intérêts dans l’affaire. Ils vous proposeront sans doute une solution facile à nos problèmes sous la forme d’une augmentation sensible du nombre de pages… Mais cette solution, d’apparence excellente, il vous faudra absolument la refuser!

Ne vous méprenez pas sur mes propos, ces hommes sont de véritables professionnels: vous pouvez leur faire une absolue confiance pour ce qui est du déroulement pratique de la fabrication de cet objet capital. En effet, ils seront prêts à toutes les éventualités face aux changements de dernière minute: nous savons tous à quel point ces modifications seront nombreuses autant qu’imprévisibles, c’est le lot de telles rencontres! Disposant d’un outil de production et de diffusion sans commune mesure, ces grands communicateurs constituent à notre avis des éléments indispensables à la réussite de cette entreprise. Ils sauront mieux que nul autre donner à cette publication la prestance et l’écho dont le Livre sur les quais a besoin!

Sylvie prendra contact avec vous par l’intermédiaire de ce téléphone portable. Veillez à vous en défaire à peine l’appel terminé! En effet, tout comme ce message, il s’autodétruira dans les 10 secondes.

Le Petit-déjeuner de Franz-Olivier Giesbert

Prenez un écrivain au verbe facile doublé d’un journaliste de premier plan, asseyez à ses côtés un éditeur parisien plein de gouaille arrivé à la rescousse après le désistement de dernière minute d’un présentateur vedette retenu à Cannes et laissez-les parler, d’abord entre eux, puis avec le public, pendant une bonne heure et demie.

Vous découvrirez que le décor somptueux d’un palace est loin d’être un obstacle à une causette alerte et détendue, sans complexe, surprenante et drôle, ceci d’autant plus que l’écrivain et l’éditeur en question se révèlent être des amis de longue date, le second n’hésitant ni à répondre à la place du premier – quitte à lui couper la parole – ni à lui balancer des vannes de temps en temps.

Cette convivialité bon enfant va même se révéler agréablement contagieuse et se propager à une assistance qui, loin d’être aussi réservée qu’elle aurait pu, ne va pas hésiter à poser des questions personnelles, voire très personnelles, non seulement à l’intervenant du jour, mais également à son acolyte improvisé.

En reprenant le chemin de votre voiture le long du lac, vous qui vous attendiez à un rendez-vous à la fois littéraire et mondain, vous vous sentirez alors comme après un petit-déjeuner familial un dimanche de vacances, le cœur et l’estomac contents sous le beau soleil réparti dans l’air lavé par la pluie.

Une ruche à fleur de pente

Le livre sur les quais, c’est une petite semaine par année à Morges au bord du lac et, le reste du temps, ça se mijote à fleur de pente entre Gollion et la gare de Cossonay, à quelques pas de la Protection Civile, pour celles – et surtout ceux – qui connaissent.

Vu que j’ai un bon quart d’heure d’avance, Laura me fait visiter les locaux. Qui aurait pu croire que cette vieille ferme abrite une – superbe et moderne et lumineuse – bibliothèque d’archéologie et des bureaux jusque sous le toit? Voilà la ruche tout en recoins et soupentes boisées où se croisent les gens des Éditions Infolio, l’équipe d’Archeodunum et celle du Livre sur les quais. Sylvie est justement en train de descendre les escaliers avec le bon à tirer pour le flyer de notre deuxième Petit-déjeuner de l’année avec Franz-Olivier Giesbert.

– Tu pourrais juste regarder si ça va comme ça?

– Je sais pas si je suis dans la meilleure position pour...

– Ah, tu sais, au Livre sur les quais, on découvre tout plein de positions!

Laura se penche en arrière, en avant, de côté et s’amuse à chercher tous les angles possibles sous lesquels voir ce petit bout de texte à relire en équilibre entre deux marches.

À peine le texte validé, Sylvie a déjà disparu. Laura m’accompagne jusque dans les combles où elle me présente un nième archéologue qui me fait un sourire derrière son téléphone et c’est déjà l’heure de notre réunion.

– Tu peux y aller, j’arrive tout de suite. Oui oui, chez Sylvie.

Je sors du corps de ferme, j’entre dans celui d’en face et je pose mes affaires à côté de la grande table ovale de la salle à manger.

Toujours personne: est-ce que je suis bien au bon endroit? En sortant prendre l’air pour me donner un minimum de contenance, je me rends compte que j’ai fait de belles traces de boue sur le tapis beige: ça c’est de l’entrée en matière! J’essuie ce que je peux avec un mouchoir en papier et je jette un regard morose aux vaches dans leurs box à côté des bureaux.

– Il faut quand même que je te dise: j’ai fait des grosses taches de boue sur ton beau tapis...

Sylvie, qui vient de prendre les grands moyens et d’éteindre son iPhone pour que notre réunion ait des chances de commencer, me fait un sourire en me montrant la cour sous la pluie battante.

– Quand on travaille dans un endroit comme ça, tu sais, c’est difficile de pas laisser des traces sur le tapis.

Une véritable saga miniature à la Rougon-Macquart

Dans mon cahier des charges, le chapitre Réseaux sociaux dit ceci: "Mise en place d'une stratégie complémentaire entre le site internet et les réseaux sociaux; Animation, développement et fidélisation des membres de la communauté; Amélioration de la visibilité du Livre sur les quais." Pour le remplir au mieux, j’ai fait une longue, très longue liste de propositions dans l’air du temps, liste au sein de laquelle Sylvie m’a chaleureusement conseillé de faire des choix. Comme la page Facebook dudit Livre sur les quais a déjà beaucoup d’amis, je me suis par conséquent concentré sur deux idées phares: écrire un blog hebdomadaire – vous l’avez sous les yeux – et créer un compte Twitter.

Pour ce dernier, premiers petits soucis au paramétrage: 20 caractères à disposition, espaces compris, pour le nom qui est aussi le titre sur la page d’accueil. Au choix: "Le livre sur les qua" sans "is" à la fin, "LeLivreSurLesQuais", mais c’était pas très joli, "Livre sur les quais", la moins mauvaise des solutions finalement conservée. Pour l’identifiant: 15 caractères et pas droit aux espaces... Là, comme c’est souvent le cas chez le petit oiseau bleu, je me suis résigné à demander un coup de main aux majuscules pour simplifier la lecture: LivreSurQuais. Voilà, on était à quelques clics du joyeux gazouillage!

Une fois la photo de couverture mise en page et le fond d’écran trouvés, j’ai pu commencer à suivre des gens en rapport avec le livre et la presse en général. Chercher ces messages que j’allais retweeter aux followers de LivreSurQuais, ça m’a semblé se rapprocher de plus en plus du travail de l’écrivain: on choisit des petits bouts du monde, on les met ensemble pour faire une histoire et, petit à petit – qu’on se mette à les suivre ou qu’ils se mettent à nous suivre de leur côté – de nouveaux personnages apparaissent. Une véritable saga miniature à la Rougon-Macquart prend forme sur un lit de micromessages! Que de coups de théâtre potentiels jusqu’en septembre!

Certains avec des livres, d’autres sans

En attendant Bernadette le samedi matin devant la gare de Morges, pas très rassuré par ma toute première table ronde à animer une petite heure plus tard, je faisais pour m’occuper un peu l’esprit la chasse aux écrivains. Celle-là, tout à fait une tête d’écrivain! Ou alors une journaliste? Peut-être les deux à la fois, peut-être pas.

Un écrivain, finalement, à part dans le cas de celles et ceux qui ont leur photo dans les journaux presque chaque semaine, c’est quand même assez difficile à reconnaître. Un teint rendu blafard par les nuits et les jours passés devant l’impitoyable écran? Une démarche élastique, faite sur mesure pour arpenter le monde? Une qualité particulière dans le port de regard? L’avantage de cet essai de typologie hasardeux, c’est que ça me permettait de ne pas trop penser à ce qui m’attendait.

Un peu plus tard, Tatiana de Rosnay, Anne Cuneo et Stephen Clarke derrière moi et la respiration un peu plus libre, je suis allé faire un tour sous la grande tente au bord du lac. Là, j’ai fait l’exercice dans l’autre sens: en marchant le long des tables, en regardant les écrivains derrière leurs livres, je me suis demandé s’ils auraient retenu mon attention devant la gare. La plupart du temps, non, pas du tout.

D’abord, ça m’a rendu triste: être écrivain, décidément, ça ne se porte pas sur soi. La capacité de créer des mondes avec les mots ne rend pas les hommes et les femmes visiblement différents. Après, de visage en visage, ça s’est mis à se réchauffer dans mon cœur: un sentiment de communauté, doux et rassurant. Chacun fait du mieux qu’il peut avec sa vie, certains avec des livres, d’autres sans.

A tout de suite sur le bateau!

Pour les tables rondes, à chacun ses petits trucs. Le mien, c’est de prendre des notes en vrac sur des feuilles A4 et de les passer, histoire de tout avoir bien à l’esprit, sur des cartes format carte postale juste avant de monter sur scène: ça tient bien dans la main, ça colle pas avec ses voisines et ça amplifie pas trop les tremblements quand l’émotion monte. Mais, en général, j’évalue le temps au plus juste et je me retrouve souvent à recopier à toute vitesse des notes que j’ai de la peine à relire...

Un jour particulièrement critique, je me suis retrouvé à peaufiner mes cartes sur la terrasse du Rong Town, au tout début de la Grand-Rue de Morges. Et qui c’est qui est venu s’asseoir à la table en face de moi? Darius Rochebin himself, dans un état a priori assez proche du mien. Je lui jetais de temps en temps un coup d’œil en finissant de recopier mes derniers points de biographie et je me suis rendu compte que je me mettais à transpirer presque autant pour lui que pour moi. Bien sûr, il a l’habitude, c’est son job, mais la table ronde qui l’attendait, c’était du lourd : rien de moins que d’Ormesson!

En me levant, j’ai pas pu m’empêcher de lui lancer:

– Alors, collègue: à tout de suite sur le bateau!

Il m’a fait un petit sourire, un signe de la main et puis s’est replongé dans ses notes.

Faire un peu mieux connaissance

D’abord, il y a cette photo transmise par l’éditeur que Laura me dépose sur le serveur. En la bichonnant un peu pour le site, cette photo, je prends le temps de la regarder. Je me demande qui est cette personne, ce qu’elle écrit, pourquoi elle l’écrit, ce qu’elle pourrait me raconter si je l’avais là, en face de moi, de l’autre côté de son bout de table et de ses piles de livres, sous la grande tente au bord du lac.

Après, en lisant la bio qui m’est arrivée la même manière, j’en sais un peu plus, mais pas toujours: de temps en temps, ces mots qui viennent s’ajouter à la photo, ça brouille cette image que j’avais commencé à me faire. L’auteur gagne encore un peu de chair grâce à mes quelques recherches – site, blog, Twitter, Facebook, Wikipédia – pour ajouter des liens à sa fiche, mais il me manque encore les livres et cette fameuse causette autour du bout de table sous la tente.

Avec un peu de chance, Twitter se met à gazouiller, Facebook à clignoter et je peux échanger quelques lignes avec cet auteur dont je viens de mettre la fiche en ligne. Alors, pour autant qu’on dépasse les remerciements d’usage, on prend un peu de temps pour faire connaissance de cette manière à la fois concise et personnelle qui est celle réseaux sociaux. Du coup, l’envie s’installe de pouvoir prendre un de ces bouquins sur ce fameux bout de table sous la tente, de pouvoir le feuilleter en continuant cet échange avec son auteur et peut-être, une fois que le tourbillon de ce premier weekend de septembre sera derrière nous, de pouvoir le lire.