La métamorphose de nos mots

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

J’oublie toujours de prendre un stylo, ce n’est pourtant pas compliqué d’y penser, on vient pour dédicacer, comment espérer que des gens s’arrêtent et demandent une signature quand on y met autant de mauvaise volonté!? Respirer. On arrive.

On trouvera bien un stylo sponsorisé, un ami auteur qui en a pris deux, un bénévole bien intentionné. Le lac est là, la tente toujours aussi accueillante, les écrivains que l’on aime à chaque fois plus nombreux. Les enfants sont babysittés, on pourra trainer un peu ce soir, revoir tout le monde ou presque, disserter sur les lubies de nos éditeurs, se conseiller des livres et des auteurs, raconter cette dame qui est passée à mon stand tout à l’heure, elle est restée près d’une heure, a concédé un « ils ont l’air bien vos livres, racontez-moi celui-là », j’ai raconté, proposé une dédicace, « ah non, j’ai dit que ça avait l’air bien mais pas à ce point ». Ou cette autre, revenue les larmes aux yeux, avec le livre acheté l’année d’avant, une de mes phrases qu’elle avait faite sienne, « tellement juste, vraie, que c’est dur, un chagrin d’amour, merci pour vos mots qui relèvent ». Merci à vous, que c’est bon d’avoir des lecteurs. De les voir arriver, curieux ou fidèles. On était seul à son bureau, on avait l’impression que tout cela n’existait que pour nous et puis non, finalement, ces phrases lancées à nos ordinateurs voyagent, passent d’un lecteur à un autre, ils n’en pensent jamais tout à fait la même chose, le livre que l’on a écrit devient le livre qu’ils ont lu, et on a la chance d’assister à la métamorphose de nos mots.

Mais d’abord, il faut écrire, publier avant « Le livre sur les quais », pour y être invité cette année encore. Ou vivre le blues de celui qui passe son tour.

Mélanie Chappuis

(Photo © Claude Dussez)

Scintillantes mutations

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Il y a dix ans, la littérature était pour moi un être énorme et flou, qui progressait à travers les âges et qui intégrait parfois des gens à la masse de son corps. Au vernissage de mon premier livre, nous étions six ou sept auteurs assis le long de trois tables alignées, un peu gris, nos livres empilés tels les œufs pondus par des volatiles en batterie. Cette image-là ne collait pas avec cette image-ci. J’ai continué à chercher le corps massif, la créature, pressentie dans l’ombre.

J’ai fini par savoir que son corps n’était pas fait de mots, mais d’humains. Qu’il se soude dans l’instant pour se dissoudre dans l’infini. Qu’il peut surtout jouir de son environnement comme n’importe quel corps.

Au Livre sur les quais, ce corps s’est épanoui dans les reflets du soleil que faisaient danser les vagues du Léman. Nous étions sous le chapiteau de toile blanche avec Olivier Sillig, Frédéric Vallotton et Pierre Queloz. De jeunes gens en t-shirt bleus nous ravitaillaient en eau, en nous adressant des sourires que nous nous plaisions à juger équivoques. La fraîcheur du lac caressait nos nuques. Hors quotidien, nous cogitions nos vies dans un état de bonheur suspendu à la manière des libellules. Le temps lent, les voix mêlées en bruit de fond, l’obsession commune de l’écrit, les confessions partagées au sujet des passants, qui défilaient devant nos yeux, nous plongeaient dans une légère connivence. Ayant perçu, les uns chez les autres, la gêne de faire l’éloge de nos propres livres, nous avons fini par faire de la vente croisée. J’ai vendu des Vallotton, des Queloz, des Sillig, qui ont réussi à leur tour à convaincre des chalands de l’intérêt des « Contes suisses ». Le temps pour l’un d’écrire une dédicace, les autres séduisaient le lecteur pris au piège. Celui-ci comprenait le manège, minaudait, mais repartait souvent avec un livre supplémentaire. Certains par esprit de jeu. Nous avons disparu sous la pluie du dimanche après-midi, avec le souvenir agréable d’avoir exposé un corps de papier à plusieurs cœurs d’hommes aux rayons du soleil de septembre.

 André Ourednik

Le salon d’une autre

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Le train ou l’avion ?

Pardon ?

Je relis le courriel une seconde fois. C’est pourtant clair : concernant le trajet de Bruxelles à Morges, comment aimerais-je voyager, par le rail ou les airs ?

C’est là que j’ai eu mon premier soupçon. Ils avaient dû se tromper sur la personne. Me prendre pour une compatriote. Amélie N. par exemple. C’était presque humiliant !

J’ai fait celle qui trouvait ça normal. Autant en profiter un peu, ça ne durerait pas. Merci, mais non merci, leur ai-je répondu un peu désinvolte, je prendrai ma voiture. Comme si seul son confort me convenait. S’ils voyaient l’engin !

Comme il me plairait ! Je pourrais alors rejoindre mon hôtel directement. Il se situait à quelques enjambées du salon, face au Lac. Là je serais attendue à l’accueil du Livre sur les quais. Attendue ?

Oui, attendue, il fallait bien qu’on m’escorte à ma table, qu’on me décerne mes bons pour les repas et les différents restaurants de la ville où je pourrais les prendre, qu’on me confirme l’heure et l’endroit pour le débat et… C’était vraiment louche cette histoire ! J’en étais certaine à présent, une confusion avait dû se produire. Ou bien était-ce une farce ? Une farce de mauvais goût.

Leur dire ? Oui mais quoi ? Heu, je ne suis pas celle que vous croyez ? Absurde.

Alors j’ai été à Morges. Comme l’aurait fait Amélie N., savourant presque l’équivoque. On verrait bien.

J’avais pris le parti de rester moi. Un grand chapeau noir et des lèvres rouges auraient transformé le joyeux quiproquo en triste mascarade. J’attendrais donc avec un mélange d’amusement et d’angoisse le moment de l’incontournable coming out.

La ville, l’hôtel, l’accueil, les gens, le Léman, et même le soleil. Tout m’est tombé dessus sans anicroche.

Mais c’est lorsqu’on m’a présenté mes voisins de fortune que j’ai vraiment paniqué. Ils étaient adorables, ces auteurs-là. Ravis. Ils n’avaient pas ce sourire obligatoire qui attire ou refoule les visiteurs, selon. Non, ils étaient vraiment contents.

J’avais une table avec vue. Sur le lac.

Je m’y suis assise un peu tremblante. C’étaient bien mon nom et ma photo sur l’affiche qui désignait ma place. Devant mon trouble, un bénévole m’a proposé de l’eau. Il repasserait régulièrement, je n’avais pas à m’inquiéter. Je ne m’inquiétais pas du tout. J’étais terrassée !

Il y eut le discours d’ouverture, puis les badauds sont entrés. Des flâneurs du livre.

Je ne connais pas bien les Suisses ! Fallait-il leur faire la conversation si dans un moment de faiblesse ils osaient caresser du bout des doigts un de mes romans ?

Un court instant, il me sembla que l’enchantement se rompait enfin. L’homme de passage m’avait regardé avec surprise, puis m’avait lancé avec malice : « Je ne vous connais pas, vous ! » Je n’ai pas eu le temps de remettre de l’ordre dans mon amour-propre qu’il s’était déjà saisi de mon dernier roman en argumentant son geste d’un : eh bien, j’ai très envie de faire connaissance avec votre travail ».

Le pire, c’était que la plupart d’entre eux souffraient du même syndrome de curiosité, de simplicité et de grande sympathie.

Alors j’ai fini par cesser d’attendre que le charme s’envole et durant trois jours j’ai profité d’être Isabelle B. Tout simplement !

  Isabelle Bary

La fiction c’est si bon

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Février 2013, Andonia Dimitrijevic m’annonce que l’Âge d’homme souhaite publier “Ils sont tous morts”, mon premier roman. Sortie prévue à la mi-août.

Au début de l’été j’apprends que je n’ai pas été sélectionné pour participer au Livre sur les quais. “Il y a plus d’auteurs que de places”, ils sont désolés.

Ça ne va pas du tout. Voilà trois mois que chaque interlocuteur apprenant la sortie de mon livre se réjouit de venir l’acquérir et se le faire dédicacer à Morges, au Livre sur les quais.

Deux options s’offrent à moi : 1. Faire du forcing. 2. Organiser le “off” du LSQ.

La première semble moins engageante.

Un email bien torché pourrait peut-être suffire. On est écrivain, ou bien?

Ça passe, le comité entend ma détresse. Ouf, pas de “off”.

Pendant ce temps les journalistes découvrent le dossier de presse, lisent “Ils sont tous morts” et certains l’adorent.

Le 15 août le livre sort en librairie et les premiers articles élogieux paraissent. Ça se présente bien. Je suis invité pour le journal de 12h30 de La 1ère, en direct du LSQ le vendredi de l’ouverture. Avec moi Madame Sylvie Berti Rossi, responsable de l’événement, et Tatiana de Rosnay, la Présidente d’honneur cette année. Vite, lire son dernier bouquin. Je découvre “À l’encre russe”, qui par chance me plaît bien.

On m’apprend que je participerai également à une table ronde en compagnie de Denis Tillinac, vieil ami de Jacques Chirac, monstre de culture et qui, depuis, a publié “Du Bonheur d’être réac”.

Je n’en demandais pas tant, un petit coin de table pour signer mon bouquin aurait fait mon affaire.

Mais les choses se sont passées autrement.

Cette édition 2013 a été pour moi un tourbillon de rencontres et d’émotions. On ne publie au cours d’une vie qu’un seul premier roman et j’ai trouvé à Morges les conditions idéales pour réaliser et déguster cette étape. Officiellement invité à dédicacer mon livre le samedi et le dimanche, je n’ai pu m’empêcher, suite au passage radio du vendredi, de fureter sous la tente du Salon. Une place m’a-t-elle déjà été attribuée ? C’est le cas. « Antoine Jaquier » est inscrit sur un bristol et juste derrière, deux gros cartons débordent de mon roman. Une belle sensation. Un frisson. « Ça y est mon gars, c’est pour de vrai ». L’impression que tout le monde me regarde. Mais non. Les auteurs présents ont d’autres préoccupations que mes sentiments de pucelle littéraire intronisée au bal des dédicaces. On sympathise. Des visiteurs veulent me prendre un bouquin, demandent que j’y appose ma griffe. Je m’assieds, sors un stylo, et sans y penser je signe mes premiers livres à des inconnus. Deux heures non-stop. Certains l’ont déjà lu ou ont vu un article, d’autres se font avoir par mon bagout de camelot, habitué des vide-greniers. On rigole bien. À ma gauche Edmond Vullioud nous déteste déjà, ma frime et moi. Son humilité devant la beauté de son recueil de nouvelles m’agace. On s’entend bien. La Vallée de Joux et l’Âge d’homme en commun.

Samedi soir les deux cartons sont vides lorsque je reçois le sexto de Tatiana. Un yacht passera me prendre à 21heures au petit débarcadère. Elle me veut en smoking, un foulard de soie blanc à mon cou. La répétition de la sonnerie me réveille en sursaut. Je me suis assoupi dans le train du retour. Le SMS est de ma mère. Elle demande des nouvelles alors que je rêve déjà au début de mon prochain roman.

La fiction c’est si bon.

Reste le sourire des bénévoles, l’accueil exceptionnel des organisateurs et de la ville en général. Et juste là, le Léman.

Antoine Jaquier

(Photo © Nadia Cortellesi)

La stratégie naturelle de la non-auteure de best-sellers

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

La stratégie naturelle de la non-auteure de best-sellers, quand elle est invitée à un salon du livre – mettons, celui de Morges – consiste à se caler contre le dossier de sa chaise, sans témoigner aucune sollicitude à l’égard des ouvrages empilés devant elle (qui sont pourtant ce qui lui vaut d’être là) et en prenant un air suffisamment absent pour exclure tout soupçon déshonorant de racolage sur la voie publique. Il faut dire que la non-auteure de best-sellers est échaudée par de précédentes expériences. Il peut lui être arrivé – je dis ça au hasard – de passer des heures dans une travée de Palexpo à se racornir dans l’attente du chaland, échangeant, pour passer le temps, quelques propos contraints avec ses compagnons et compagnes d’infortune, dans les effluves sonores d’un Beigbeder bonimentant à vingt mètres, pour le plus grand plaisir de cent cinquante personnes.

La non-auteure de best-sellers se soucie de sa dignité. Par chance, la table qu’on lui a attribuée fait face au lac et au profil bleu des Alpes, de sorte que, se dit-elle, elle aura toujours la ressource de contempler intensément le paysage sans risquer de croiser d’autres regards humains. Mais la non-auteure de best-sellers est aussi un cœur tendre (voir les pics de souffrance qu’elle inflige à ses personnages) ; ça la remue, quand même, de voir défiler tous ces gens manifestant obstinément quoique pacifiquement leur passion immodérée de la lecture ; elle commence à se dire qu’elle a peut-être mieux à faire que de leur envoyer un message menteur, comme quoi elle n’en aurait rien à cirer qu’on s’occupe d’elle.

Sourire. Pas si évident, si elle en juge par le rictus de tel ou telle collègue, qui se limite à mobiliser sa mâchoire. Que faut-il lâcher pour sourire des yeux – l’orgueil, la peur de ne pas être aimé-e? S’autoriser à impliquer le corps, en décollant ses omoplates du dossier, en inclinant un peu le buste vers ses piles : puisqu’après tout, ce que les livres révèlent, c’est ce que l’auteur-e a ou n’a pas dans le ventre. De temps en temps se mettre debout derrière sa table, se transformer en antenne, en phare, en baobab.

Au bout de trois jours, la non-auteure de best-sellers rentre chez elle d’humeur plutôt joyeuse, satisfaite d’avoir signé un nombre honorable d’ouvrages, et encore plus satisfaite d’avoir vécu de vraies rencontres avec des gens qui lisent ses livres, des gens qui ne les lisent pas et des gens qui, peut-être, les liront un jour. Mais alors : vidée, claquée, ratiboisée ! Si les journalistes qui hantent les quais de Morges étaient des chroniqueurs sportifs plutôt que des critiques littéraires, ils pourraient dire qu’elle a tout donné.

Silvia Ricci Lempen

(Photo © AdS, Journées littéraires de Soleure, Michal Florence Schorro)

T’as trouvé l’amour, toi ?

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Tu penses qu’on peut trouver l’amour sous une tente remplie de fictions ? Tu penses qu’on peut faire l’amour sous une table remplie de jambes d’écrivains ? T’écris quoi, toi ? T’écris pour quoi, toi ? T’écris pour qui, toi ? Pourquoi tu as deux cartons de plus que moi ? Il faut juste s’asseoir et signer ? Comment ça, vendre ? On ne me dit jamais rien. Imagine, tu ne vends rien pendant trois jours. Le costard ? C’est pour faire croire aux badauds que je vis de mes droits d’auteur. Les toilettes, c’est où ? Je reste assis ? Sur la chaise ? La table ? Je dois sourire tout le temps ? C’est louche un écrivain qui sourit. ACHETEZ MON LIVRE (s’il vous plaît). C’est sympa. C’est sympa ? Hein ? Au Comptoir, on n’aurait pas idée de faire dédicacer sa Laurastar. J’ai peur. J’ai froid. T’as faim ? Ah, elle, elle n’écrirait pas que je la lirais quand même. Je crois qu’il y a du blanc au bar. Julien Blanc-Gras m’a dit juste avant qu’il ne lirait pas mon bouquin parce qu’il comptait écrire le même en mieux. Pourquoi y a-t-il plus d’écrivains sur les dents que de mouettes sur les bouées ? Il faut aussi souhaiter bonne journée à ceux qui n’achètent rien ? «Je voulais juste vous voir en vrai.» C’est louche un écrivain qui sourit, non ? Je peux pas, j’ai table ronde. Je l’aime bien, lui, c’est qui déjà ? Tu surveilles mes livres pendant que je vais jeter mon égo aux canards ? Ma mère va arriver. Elle pense que je suis aussi célèbre que Michel Houellebecq alors fait comme si tu étais moins connu que moi. Tu sais que le nègre d’un écrivain, j’ai longtemps cru que c’était de l’esclavage romantique ? Tu fais ça tous les ans ? Je veux dire, t’asseoir poliment pour regarder tous ces gens ne pas acheter ton livre. Je ne savais pas qu’il écrivait, lui. La littérature, pour moi, c’est être assis entre un ancien flic et un gangster repenti et qu’il ne se passe absolument rien. Tu mets une coche à chaque bouquin vendu ? Amélie Nothomb est accueillie avec des barrières. Trouve-moi le préposé aux barrières. «Amitiés», ça fait trop pédant ? Bonjour madame, sachez que mon livre est mieux et moins cher que celui que vous comptiez vous offrir. Pourquoi il a feuilleté le mien en m’ignorant, avant d’acheter le tien en te fixant ? Tu savais qu’Anne Cuneo vend vraiment des livres, elle ? Ça ? C’est un tampon «édition limitée» qu’un ange gardien m’a offert. Oui, les anges ont de l’humour. Le mec vient de me souhaiter bon courage. Demain, je viens avec un poissonnier de Rungis. Demain, je viens en porte-jarretelles. Demain, je viens plus tôt. Demain, je ne viens pas. Demain, j’irai bien. Mieux. T’es encore au café ? À quel nom ? Avec un «h» ou sans «t» ? Ici, être punk c’est s’offrir un bouquin sans le faire dédicacer. C’est fou, plus tu écris, plus on te demande de parler.

J’ai bien vendu.

J’’ai bien bu.

J’ai été ému.

Ma gosse est venue.

J’ai pas beaucoup lu.

T’as trouvé l’amour, toi ?

Fred Valet

(Photo © Claude Dussez)

Tout va bien se passer

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Boire un renversé sur la terrasse du Casino. Matin. Soleil. Calme. Petits oiseaux. Et dans la tente aussi. Soleil. Lac. Clapotis. Tables. Livres. Livres. Livres. Auteurs assis. Debout. Salut, tu vas bien ? Magique. Oui. Incroyable. Super. A tout à l’heure. S’asseoir. Fouiller sac. Sortir stylo fétiche. S’assurer sur papier qu’il fonctionne. Soleil. Lac. Waouh. Qu’est-ce qu’on est bien. Salut ! Salut ! Splendide. Et les gens. Et le cadre. Et l’accueil. De l’eau ? Oui volontiers. Plate ou gazeuse ? Idyllique. Soleil. Lac. Fantastique. Salut ! Bien dormi ? Drôles de rêves, sinon oui. Classe ta robe. Merci. Pour midi, on réserve sur la terrasse du Balzac ou du Mont-Blanc ? Salut ! Oui, super. Soleil, lac, petit vent. Douceur. Bonjour. Faites seulement. Au Balzac, ça change. De l’eau ? Avec plaisir. Plate ou gazeuse ? Gazeuse. C’est l’histoire d’une famille qui part en vacances et les choses ne se déroulent pas vraiment comme prévu. Oui, il y a de l’humour. Non, pas vraiment de secret de famille, pas dans celui-ci, mais dans celui-là, oui. Salut ! Salut ! Tu viens ce soir au souper des auteurs ? Of course. Magnifique. Soleil. Lac. Petits oiseaux. Fantastique. Quelle chance. Quel cadre. Quel accueil. Quel est votre nom ? Marianne. En un mot ? Pour Marianne, en espérant que vous apprécierez cette balade dans les sous-bois. Merci à vous. Pause de midi. Soleil. Arbres. Verre de rosé. Santé. Beauté. Bleu du ciel. Bleu du lac. Bleu, tout bleu. Qu’est-ce qu’on est bien, nom de bleu ! Bon appétit. Stress qui monte. Débat qui approche. Une gorgée de vin. Un morceau de pain. Sourire. Tout se passera bien. Salle Belle Epoque. Tatiana de Rosnay. Valérie Tordjman. Oriane Jeancourt Galignani. Les joies de la famille. Aaaaah. Stress. Stress. Stress. Plus que vingt minutes. Aaaaah. Vite, vite. Passer aux toilettes. Quelques fleurs de Bach. Pschit. Pschit. Tout va bien se passer. Arranger cheveux. Vérifier dents. Soleil. Lac. Douceur. Respirer. Tout va bien se passer. Tout va bien se passer.

Anne-Frédérique Rochat

Le livre sur les quais

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

A :  Tu connais ce salon des auteurs, à Morges, Le Livre sur les quais ?

B : (insistant sur les deux pronoms définis) Tu veux dire : Les livres sur le quai ?

A : (reproduisant, moqueur, l’accent que B a mis sur les pronoms) Non, c’est bien Le Livre sur Les quais.

A : (étonné) Eh ben c’est absurde, j’y suis allé, il y a des milliers de livres…

B : Le Livre, c’est un singulier générique.

A : (las) Générique ?

B : Oui, singulier défini générique, pour être précis. Ça désigne une espèce, tu comprends ?

A : (agacé) Bien sûr que je comprends, mais c’est pédant.

B : (sur un ton paternaliste) Pas du tout. C’est une façon tout à fait neutre de donner un titre.

A : (faisant semblant d’être convaincu) O.K… alors Le Livre sur les quais, c’est cet endroit où Le lecteur rencontre L’écrivain et où Le journaliste anime Le débat alors que Le bateau de la CGN promène L’amateur pour La croisière littéraire…

B : (haussant les épaules) …

A : Sérieusement, Le Livre, ça fait un peu religieux, non ? Je parie qu’ils écrivent Livre avec majuscule. Ça fait un peu secte tout ça. Déjà que si ça désigne une espèce, c’est une espèce en voie de disparition alors, comme toutes les religions… les religions du Livre… Ils devraient se moderniser… Les tablettes sur les quais, par exemple…

B : (hochant légèrement la tête) …

A : (faussement intéressé) Et Les quais alors ? Qu’est-ce que c’est ? Un pluriel défini générique ?

B : (ironique) Ça dépend, mais ce qui est sûr, c’est que Un pluriel défini générique, c’est un singulier indéfini générique…

A : (retenant difficilement un sourire) D’accord... mais techniquement, ça se passe que sur un quai, le quai Stravinsky… Stravinsky, on le surnommait pas l’Aigle de feu ? J’ai trouvé comment ça devrait s’appeler ! L’Aigle et le E-book ! En hommage à La Fontaine…

B : (consterné) …

A : (avec un enthousiasme non contenu) T’as compris ? E-book, Hi-bou(k) ! L’aigle et le E-book…

B : (regardant sa montre) Il se fait tard…

A : (reprenant son sérieux) Pour répondre à ta question, oui, je connais bien Le Livre sur les quais.

Antonio Albanese

Écrire devient rencontrer

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Un nom : le mien ; une chaise, le lac en guise de décor et devant moi mes livres. Je m’assieds timide. Jouer avec ma plume en me demandant si elle va servir. Prendre conscience du lieu, saluer les auteurs, regarder déambuler les passants. Se dire qu’il y aurait tant à écrire sur ces vies qui défilent. Dans ma rêverie, je n’ai pas vu la dame qui se saisissait de mon ouvrage. Elle le retourne, lit silencieusement le quatrième de couverture. Quand ses yeux croisent les miens, elle me demande si je peux le lui dédicacer. Je lui souris et laisse courir l’encre sur le papier. Une première rencontre, qui en amène d’autres. Des heures d’échanges, de rires, d’anecdotes. Des bénévoles qui vous choient, complètent les piles, vous tiennent compagnie un instant. Passer de l’autre côté de la table, se balader dans les allées, faire signer un livre, un second, puis tant, que les bras en deviennent lourds. Se réjouir des moments de lectures futurs. Écouter les auteurs ; parler à son tour. Signer encore, laisser partir ses héros avec des inconnus. Espérer qu’on les aimera.

Le soleil décline, la tempête se lève. La tente se vide. Rester encore un peu. Savourer le moment. Écrire. Travail solitaire. Écrire pour être lue.

À Morges, sur les quais, écrire devient rencontrer.

Abigail Seran

Perfect opportunity!

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Le livre sur les quais c’est super-coule, m’avait dit un jeune éditeur à l’esprit pragmatique, tu verras, tu en vends beaucoup plus qu’au salon, parce que Le livre sur les quais c’est axé sur les auteurs, pas sur les éditeurs comme au salon. Et puis, c’est l’occasion de rencontrer d’autres écrivains suisses romands, des poulains de Slatkine, Antipodes, Plaisir de lire, Joie de lire, Art et Fiction, Mon Village, Empreintes, Faim de siècle et tant d’autres qui font un travail incroyable (je parle de ces éditeurs engagés, solidaires, passionnés), qui n’ont pas froid aux yeux, qui bougent les lignes. C’est un rendez-vous à ne pas manquer, pour rien au monde!!!

Il avait raison le jeune éditeur à l’esprit pragmatique. Comme j’ai bien fait de m’y rendre, au Livre sur les quais. Non seulement j’ai vendu des livres mais, en outre, j’ai rencontré des écrivaines à la fois brillantes, risque-tout, franches et originales, avec lesquelles j’ai pu discuter à bâtons rompus d’installations troublant la sémantique, de vidéastes islandais et sud-coréens, des performances de Marina Abramovic et de Pro Helvetia. Avec l’une d’elles, je travaille sur un projet que nous ne pouvons dévoiler ici.

Antonin Moeri