Gaëlle Josse nous donne à lire ici un très beau roman biographique. Le portrait en contre-jour de Vivian Maier (née en 1926), une femme qui a été nurse d'enfants et gouvernante dans de nombreuses familles américaines pendant quarante ans mais qui, toute sa vie, s'est dédiée à la photographie. C’est donc une œuvre photographique monumentale, passionnément humaine consacrée aux démunis, aux perdants du rêve américain, qui a été découverte après sa mort. Des milliers de clichés qu'elle-même n'aura jamais eu l'occasion ni de développer ni de voir.
D'elle, on ne sait finalement pas grand-chose, il y a beaucoup de blancs et de contradictions dans les témoignages récoltés après sa mort en 2009. Et c'est avec beaucoup de délicatesse, de subtilité et d'égards pour cette femme hors du commun que Gaëlle Josse reconstitue et prolonge ce destin marqué par la solitude, les secrets de famille et de nombreuses blessures. Une femme si dense et si troublante que nous aurions voulu la connaître, ne serait-ce que pour la prendre dans nos bras et tenter de la consoler. Mais... nous aurait-elle seulement laisser faire ?!
Librairie l'étage, Yverdon-les-Bains
Lou, jeune fille de 12 ans, n'a peur de rien. Et c'est bien là son problème. A la suite d'un certain nombre d'incidents, ses parents, soucieux de sa sécurité, décident de l'emmener voir un spécialiste. Lou sentait bien qu'elle est différente des autres enfants mais ce jour là, ils vont découvrir qu'elle est dépourvue d'une émotion : La peur. Ses pères choisissent, alors, de la faire admettre à l'Institut P.E.T.O.C.H.E. (Peurs, Épouvantes et leur Traitement Organisé, Ciblé et Hautement Efficace) afin qu'elle découvre les mystères de cette émotion.
Dans cette institut, quelque peu mystérieuse, Lou va rencontrer d'autres enfants, qui contrairement à elle, souffrent d'angoisses et de phobies. Ensemble, ils vont vivre des aventures permettant aux enfants de surmonter leurs peurs. Mais pour Lou, ses épreuves lui servent à apprivoiser cette dernière. Car la peur a une fonction bien précise, et c'est ce que va découvrir Lou et tous lecteurs de ce roman qui est à la fois documentaire.
Car avec l'aide de spécialiste lors d'une collaboration avec l'Université de Lausanne, Bruno Pellegrino, nous présente un texte plein de surprises et d'informations pouvant être complexes mais dans lequel il est facile d'y plonger. « Les mystères de la peur » est un roman touchant, instructif et plein de rebondissements agrémenté notamment d'illustrations de Rémi Farnos que nous retrouvons dans « Les mystères de l'eau » premier livre de cette même collection, Les mystères de la connaissance, des éditions de La Joie de Lire.
Librairie Albert le Grand
Couronné par un prix suisse de littérature, Tamangur, premier roman de la grisonne Leta Semadeni, nous emmène en Basse-Engadine, à la rencontre d’une grand-mère et de sa petite-fille. Chacune est aux prises d’un deuil douloureux, d’un abandon, d’une culpabilité.
La grand-mère a perdu le grand-père, la petite fille a perdu son petit frère.
Pour faire face à ces grandes pertes elles convoquent leurs souvenirs, se laissent porter par le temps, se provoquent, s’affrontent et se soutiennent.
La grand-mère a un désir de neige en été, s’enivre en fumant les Toscani laissés par le grand-père. La petite-fille entre dans ses nuits pleines de rêves en rejetant ses angoisses grâce à Kasimir, un chat en peluche offert par la grand-mère.
Dans ses rêves, les chaussures se font la malle, le lit peut danser et s’envoler avec l’enfant, partout. Elle connaît le village vu du ciel et, quand elle revient dans le monde de la grand-mère, après de telles excursions, elle est toujours plus riche.
Quand une journée a été bonne, elles écrivent une lettre sur une vieille machine à écrire sans ruban, adressée à l’âme du grand-père qui pourra la lire quand elle débarque pendant la nuit parce qu’elle se languit du lit chaud de la grand-mère.
Tamangur c’est l’endroit où est parti ces deux êtres chers.
Tamangur c’est un texte empreint de poésie, de solidarité, de sentiments contrastés. C’est une fable c’est la vie c’est beau.
Leta Semadeni est née à Scuol, en Engadine, a étudié les langues à l’université de Zurich. Poétesse elle écrit en romanche et en allemand. Son œuvre a été couronnée en 2011 par le Prix de littérature du canton des Grisons et par le Prix de la fondation Schiller.
Véronique Rossier
Librairie nouvelles pages
Certains écrivains vous invitent à une promenade du dimanche : on parcourt des chemins bien connus, on croise des figures familières, on se salue, on se sourit. C’est bien agréable…
D’autres vous emmènent en des lieux inconnus, sur des chemins plus escarpés, en des bifurcations plus incertaines. Ivan Repila est l’un d’eux. A peine vous a-t-il pris par la main que déjà vous vous retournez et ne reconnaissez plus rien. Où suis-je ? Où m’emmène-t-on ? On découvre à chaque pas une perspective nouvelle, un relief inconnu, une trouée mystérieuse et captivante.
Deux figures s’affrontent dans ce roman d’anticipation saisissant et sombre.
Emil Zarco, un architecte célèbre qui, en construisant tout un nouveau quartier, rêve de réaliser « un monument plus durable que l’airain ». Dans ses fantasmes démiurgiques, il veut façonner le monde.
Le Muet, quant à lui, est l’homme du retrait. Après la mort de ses proches, il a cessé de parler et s’est retiré du monde. Il va pourtant devenir malgré lui le meneur d’un mouvement populaire qui bouleversera la ville.
Rien n’est acquis pour le lecteur, mais tout s’ouvre à lui, imagination, prospective, poésie, réflexion. L’espace s’approfondit et le cœur, inquiet, s’épanouit dans le lent basculement du destin de ces deux hommes qui colonisent le monde. Leur chute ou leur résurrection nous interrogent longuement : dans nos âmes et dans nos villes, comment habiter l’inhabitable?
Librairie du Boulevard
Avec son titre extrait de l'Eclésiaste, « Le vent reprend ses tours », Sylvie Germain nous offre un roman magnifique, un texte qui oscille entre passé et présent, brodé de mélancolie et de joie, clair-obscur, en chemin vers l’émerveillement.
L'important du récit c'est la qualité de l'amitié, hors d'âge, formatrice, c'est l'élan de la vie, les "coups de paradis", l'allégement enfin. Avec son écriture empathique, Sylvie Germain raconte, interroge, donne la parole à des personnages attachants, à priori pas des héros, mais des êtres tout simplement inscrits dans l'Histoire, qui les emportent "tournant, tournant, va le vent".
Tout commence par un avis de recherche collé sous un abribus qui attire l'attention de Nathan, le protagoniste principal. Il s'agit du portrait d'un disparu Gavril. Gavril son ami, le mage saltimbanque, l'homme-oiseau flanqué d'instruments de musique loufoques, qui insuffle de la poésie sur le bitume de Paris, avec ses mots et ses rêves. Grâce à lui, dans son enfance solitaire, Nathan avait trouvé un équilibre dans sa vie, il avait découvert la confiance et la joie à ses côtés.
Après la fausse annonce de son décès trente ans plus tôt, Nathan avait mené une existence morne et sans gaieté, "à l'étouffée".
A la lecture de l’avis de recherche, Nathan décide de se délester de ses biens et de partir sur les traces de son ami en Roumanie. Il va y découvrir ce que Gavril lui avait tu : une enfance orpheline, la répression, les geôles, la faim et le froid.
Mû par une ardeur de vie, Gavril a transmis à Nathan le goût de la liberté et des mots vivants.
Qu'adviendra-t-il de cet enseignement buissonnier ? Par quel chemin Nathan parviendra-t-il à le faire renaître ?
A vous de le découvrir en lisant le singulier roman de Sylvie Germain au phrasé mélodieux et envoûtant.
Elle sera à Morges au Livre sur les Quais en septembre, réjouissons-nous !
"Allant vers le sud, tournant vers le nord, tournant, tournant, va le vent, et le vent reprend ses tours. Ecclésiaste 1,6
Dominique Riat
Librairie Albert le Grand
Pour quelle mystérieuse raison Dora Parker a souhaité être enterrée au cimetière cubain de New-York, et qui est cette étrange vieille dame inconnue de la famille qui a assisté à la cérémonie? Dora Parker aurait dû disparaître avec ses souvenirs, laissant son fils Leonard sans certitude sur ses origines, sans père, sans passé, et sans problèmes.
Leonard Parker a les deux pieds bien plantés dans une vie de rêve américain: il est médecin-gynécologue, le meilleur, reconnu de ses pairs et de ses patientes, il est celui qui est là au bon endroit au bon moment pour faire le bon geste et qui s'émerveille encore et toujours du miracle de chacune des naissances auxquelles il assiste. Son épouse l'adore, leurs deux fils vivent sereinement leur vie de jeunes adultes, et sa mère aura passé sa vie à empêcher le passé de ressurgir.
Mais la mort de Dora va réveiller de vieux démons et nous plonger au coeur de la révolution cubaine à la fin des années 50: bars survoltés où rhum et mojito coulent à flots, jeunesse avide de renouveau, anciens escrocs, nouveaux riches et opportunistes de la pire espèce aux commandes de manipulations politiques et militaires. Les héros ne sont pas ceux qu'on croit, ni ceux qu'on connaît, oubliez le Che, cet argentin arrogant, et marchez dans les pas de Camilo, le vrai héros qui fait battre le coeur des Cubains. En remontant le temps Leonard va découvrir d'où il vient, pour le meilleur et pour le pire.
Frédéric Couderc nous offre là une histoire d'amour explosive et haletante qui donne envie de déguster un mojito ou une Côte Rôtie et de se précipiter sur une encyclopédie pour essayer de comprendre où s'arrête la réalité et où commence la fiction. Et vous savez quoi? J'ai facilement trouvé la recette du mojito, mais ça a été beaucoup plus compliqué de démêler le vrai du faux. Plein de fausses pistes, mais un vrai bon livre.
Josée
Tom Cooper est la révélation américaine de l’année 2015.Son roman « Les Maraudeurs » a été remarqué par la critique, la télévision, par de grands écrivains tels que Stephen King. Il a été traduit en français ce printemps et a immédiatement eu beaucoup d’audience dans les pays francophones.
En 2005 l’ouragan Katrina n’a pas épargné Jeannette, petite ville de Louisiane. Cinq ans plus tard, alors que les habitants se relèvent péniblement de cette catastrophe, voilà que la marée noire pollue toute la région. C’est tragique parce qu’à Jeanette on est pêcheur de père en fils; avec ce sinistre la crevette devient de plus en plus petite, c’est la misère.
Gus Lindquist, un pêcheur devenu manchot suite à un accident, dépendant de l’alcool et des antidouleurs, rêve de retrouver le trésor caché de Jean Laffite, le célèbre pirate. Il arpente le bayou avec un détecteur de métaux et faute de trouver le gros lot, il déniche parfois quelques piécettes qui le maintiennent tout juste en vie. Voilà qu’un autre malheur s’abat sur lui. Non seulement sa femme l’a quitté mais on vient de lui voler sa prothèse, une prothèse à 30.000 dollars que lui a procuré sa caisse maladie. Les frères Toup, des jumeaux psychopathes, ne sont certainement pas étrangers à ce larcin. Ils n’ont pas froids aux yeux et sont prêts à tuer tous ceux qui s’approcheraient d’un peu trop près de leur champs de marijuana qu’ils cultivent dans un marécage. Ils voient donc d’un mauvais œil les allées et venues de Lindquist.
Deux truands qui se sont connus en prison, Hanson et Cosgrove, ont, eux, bel et bien repéré le fameux champs de marijuana des frères Toup. D’en voler un peu leur permettrait d’arrondir leur fin de mois, et puis ils adorent la fumette, celle des jumeaux est si pure, la meilleure de toute la région; ils vont donc prendre tous les risques pour s’en procurer.
Il y a aussi quelques jeunes à Jeanette. Wes Trench est un adolescent qui a perdu sa mère, emportée par l’ouragan Katrina. Il ne parle plus à son père qu’il tient pour responsable de cette mort. Il s’est mis au service de Lindquist et volera à son secours lorsqu’il aura disparu.
Une histoire qui nous narre les aventures de gens tous plus farfelus les uns que les autres, hauts en couleur.
C’est noir, tragique, tragi-comique, burlesque.
Il y a du cynisme dans le récit de Tom Cooper, de l’humour corrosif aussi, mais une certaine jubilation dans l’écriture.
Stephen King l’a dit: « Un sacré bon roman ».
Françoise Berclaz-Zermatten
Antoine Jaccoud écrit pour le cinéma et le théâtre, de la poésie et de courts récits. On rit en le lisant ou en l’écoutant, beaucoup, souvent jaune. L’oralité de son style est le vecteur d’une ironie parfaitement maitrisée. Son dernier livre, Country, est un recueil de courts récits, des histoires à chute inspirées du quotidien. La cible du sarcasme est le suisse moyen ou bien l’archétype du voisin, entendez par là: le lecteur et pourquoi pas l’auteur lui-même. Tous sont pétris d'a priori, de peurs irrationnelles et de méfiance face à ce qui lui est étranger. Chacun se raccroche à son chez-soi, à son «country». Sous-tendu tout au long du texte, le sujet brûlant de l’égard porté aux migrants s’impose alors comme un thème majeur du livre. Ici, par exemple, après avoir déniché un ticket Low cost pour 12,50 francs, Monsieur Tout-le-monde raisonne: «On a pensé à tous ces réfugiés qui payent cinq ou dix mille balles pour traverser La Méditerranée. Est-ce qu’ils se font pas un peu avoir quand même ?». Un autre court texte de Jaccoud paru dans le dernier numéro de La couleur des jours,« Au Pirée, purée », se sera d’ailleurs rappelé plusieurs fois à l’auteur de cette critique durant ses vacances en Grèce.
Librairie La Méridienne
Lucie est une jeune étudiante qui cherche quel sens donner à sa vie, tiraillée entre le rêve d'une brillante carrière et son amour irrépressible pour Dieu. Elle va partir en voyage à Taizé, s'inscrire à des cours de prière, passer quelques jours aux côtés des novices d'un couvent et à la fin de ses études Lucie va devenir soeur Marie-Lucie, au grand dam de sa mère et de sa meilleure amie Juliette, blessée que Dieu lui vole son amie.
Sceptique mais fidèle, Juliette affligée va suivre le parcours et les étapes de la vie de soeur Marie-Lucie, heureuse, exaltée, rayonnante, de la cérémonie des novices, à la prise du voile, puis au fil des marches grimpées péniblement dans la hiérarchie de la congrégation. Etapes fascinantes et douloureuses, jalonnées d'événements quotidiens éprouvants et humiliants, sous le règne d'une Mère Supérieure toute puissante. Aucun écart n'est permis, seules comptent la dévotion à Dieu et l'humilité. Nulle amitié, pas d'empathie, aucune confiance possible dans les murs du prieuré, un chemin de croix solitaire va mener soeur Marie-Lucie à devoir faire des choix sans concession.
Maëlle Guillaud nous dépeint avec beaucoup de finesse et de subtilité le portrait désespéré d'une jeune femme fragile mais dont la volonté est dramatiquement infaillible. Au fil des pages, des mois et des années vous allez souffrir avec Marie-Lucie, vous allez espérer avec elle, vous décourager avec elle, vous fâcher contre elle, sentir la morsure de la trahison et tenter de cerner si elle est manipulée ou si elle s'est trompée.
Josée
Au départ. Ne rien connaître de Louis Soutter, si ce n’est, probablement, son nom. Ne rien savoir de son œuvre sauf peut-être un souvenir: des personnages épais, noirs, entraperçus dans un livre d’art comme enfant.
Et au tomber dans l’histoire, engloutir une vie, deviner, imaginer, compléter, y croire. Reconnaître une époque. Etre touchée. Comme une barque souhaiter par moment offrir son bras à Louis.
Dans la rue le lendemain, arrêter son regard sur les quelques petits vieux voûtés, marchant seul, chapeau en crâne, en main, regards sur les pavés ou sur les toits. Se demander.
Se rappeler surtout un 28 juillet 2015, pas loin des pyramides de Vidy, proche de minuit. Michel soudain de confier ce qu’il a sur le feu. «Vous connaissez Louis Soutter?». Certains de répondre non, d’autres oui, d’autres un peu. Et il raconte – comme il le fait si bien, en digressant, hésitant, flot de pensées en parallèle, curieux, passionné, les paumes avec – ce livre à naître. Ses doutes (devrait-il ordonner chronologiquement les événements ?). Ses recherches. Sa prochaine visite à Ballaigues. Et souvent de répéter avec effroi : pendant dix-neuf ans dans un asile, oublié de tous.
Dans Louis Soutter, probablement, Michel Laya rend avec brio – sur un déroulé d’années – tant l’émotion que la matière, les couleurs, les instants d’immobilité ou de terreur. Et au contact de sa plume, de son Louis, et comme la peinture de l’artiste, on se délie de la page avec un regard un peu voilé sur les choses, un regard un peu différent.
Cyrielle Cordt-Moller, Librairie L’étage