Retour de confesse

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Passée la première surprise, je me suis dit pourquoi pas. Je n’en attendais pas la Révélation du siècle, mais ça pouvait peut-être me bonifier. Et puis, autant rester en de bons termes avec mon éditeur ; il avait l’air de beaucoup y tenir. Curieusement. Parce que, franchement, ce nouvel aspect de sa personnalité, que je lui découvrais à travers cette demande insolite, cadrait mal avec le reste. Je lui connaissais une fibre militante, plutôt gauchisante, mais j’étais à mille lieues de l’imaginer fervent catholique, prosélyte même.

J’ai cru comprendre en voyant le monde qui se pressait au portillon : « C’est donc ça qui l’anime, me suis-je dit, la défense des causes perdues. » Je me suis souvenue que les gens sont de plus en plus nombreux à refuser de payer leurs impôts ecclésiastiques. Ceci, joint à la crise du logement, à la montée en flèche des loyers, pouvait expliquer pareille promiscuité. Car ils étaient plus de trente à attendre leur tour, toutes les chaises étaient occupées, et les escaliers, il en débordait de partout, vous parlez d’une intimité ! Imaginez comme j’étais à l’aise, moi pour qui c’était une première. Déballer ses fautes à un représentant de Dieu n’est déjà pas chose facile, surtout pour une protestante, mais devant trente paires d’oreilles qui n’en perdaient pas un mot !

Autre signe de la décrépitude de l’institution, le curé, je le connaissais bien, moi qui ne vais jamais à la messe, pour l’avoir vu animer des débats. Figurez-vous que le malheureux en était réduit à cumuler sa sainte fonction avec celle de journaliste pour boucler ses fins de mois.

Pour intrusives que fussent les premières questions, je me suis prêtée de bonne grâce à l’exercice. Mais quand l’interrogatoire a dévié sur mes personnages, je me suis rebiffée. Soit, je voulais bien encore laver mon âme et ma conscience. Mais que la confession vire à la délation, il n’en était simplement pas question. Mes héros pourraient compter sur ma discrétion. Je ne trahirais pas un mot de plus que ce qui figurait dans mon roman. Vraiment, l’Église filait du mauvais coton. Pas étonnant qu’elle en fût réduite à de telles extrémités !

En sortant, j’ai tout de même eu comme une Révélation. « Pas mal ton interview, a concédé un ami présent lui aussi au Livre sur les quais, côté dédicaces. Moi, c’est à 15 heures que je passe au Confessionnal. Tu viendras m’écouter ?

Sabine Dormond

(Photo © Fabian Unternährer)

Quelque chose qui cloche

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Il y a quelque chose qui cloche dans ce rendez-vous littéraire. Je parle en connaisseur : trois participations en quatre ans. Le lieu peut-être, insupportablement idyllique : un lac, les montagnes, le soleil, la douceur, une petite ville pleine de charmes. Ou l’organisation : professionnelle mais décontractée, discrète mais attentive, des libraires et des bénévoles qui s’intéressent aux livres, des modérateurs qui les ont lus. À moins que ce ne soit le public : nombreux, qui n’hésite pas à regarder les ouvrages, à les tripatouiller, à les acheter, à poser des questions, à lâcher un commentaire ou un autre. Ou si c’était ces rencontres fortuites qui soudain adviennent, avec d’autres écrivains, ou avec des inconnus, le temps d’un regard, d’un café, d’un repas sur l’herbe, rencontres possibles à cause sûrement de cette atmosphère qui donne au Livre sur les quais sa couleur, qui agit comme un philtre bienfaisant. Rien d’empressé, de bâclé, rien de démesuré, d’anonyme. Oui, il y a quelque chose qui cloche dans ce rendez-vous littéraire là. Fasse le ciel que cela dure encore !…

Michel Layaz

La Grande Aiguilleuse des ouvrages

Au Livre sur les quais, vous vous en serez douté, il y a des livres, beaucoup de livres, vraiment beaucoup, des quantités cauchemardesques de livres. Il y a, bien entendu, tous les livres qui vont venir s’empiler devant les auteurs déjà en train de se chauffer les poignets en vue des kilomètres de dédicaces qui les attendent: ces livres-là subissent au moment où je vous écris un long et compliqué processus d’empaquetage dans les locaux de Payot.

Mais cet empaquetage gigantesque ferait presque figure de jeu d’enfant à côté de la circulation labyrinthique des exemplaires de service de presse répartis aux quatre coins de la Suisse romande et même, pour certains, par-delà les frontières helvétiques. Francine, aux commandes de cette formidable infrastructure postale où se croisent les courriers, les mails, les contre-mails, les confirmations et les changements de dernière minute, veille au grain: les paquets égarés retrouvent en moins de temps qu’il ne faut pour le dire leur destinataire légitime!

Les animateurs de rencontres piaffant d’impatience devant leur boîte aux lettres, les journalistes brûlant d’envie de s’entretenir avec ces fringants auteurs rassemblés le temps d’un weekend en un seul et même lieu, tous ces lecteurs avides peuvent compter sur le savoir-faire et les inépuisables ressources stratégiques de la Grande Aiguilleuse des ouvrages! Ces livres qui leur permettront à toutes et à tous de préparer sereinement leurs interventions et de poser des questions judicieuses et pleines d’esprit à leurs interlocuteurs du jour, ces livres, foi de libraire chevronnée, ils arriveront à temps!

La Librairie

Il existe plusieurs types de librairie. Certaines sont fonctionnelles: des livres au garde-à-vous sous des panneaux au design épuré attendent sagement la douce main du lecteur et – espèrent-ils secrètement – son regard soyeux et tendre annonciateur d'inoubliables aventures en tête à tête.

D’autres commerces se spécialisent dans les ouvrages de seconde main: ça sent la poussière et le vieux papier, les piles y sont en général instables et les classements fréquemment aléatoires. Et ce roman qu’on cherche depuis si longtemps, ce roman épuisé partout, si si, je vous assure, pas la peine de demander, ce roman introuvable finalement dégotté par un vrai coup de bol, eh bien, on peut en négocier âprement le prix en fonction de la quantité de réparations à effectuer pour qu’il ait des chances de survivre à notre nième lecture.

Et puis il y a la Librairie.

À peine remis du sourire de Sylviane, l’âme et cheville ouvrière des lieux, le regard se perd dans le vert méditerranéen de longues armoires aux portes grandes ouvertes sur des livres qui attendent nos caresses. En vagabondant de titre en titre, on apprend de la bouche même de la propriétaire que, tout comme le vieux comptoir au bois imprégné de ses vies déjà nombreuses, ces portes ont été achetées à un antiquaire trop heureux de se débarrasser de ces pièces monumentales qui appartenaient vraisemblablement à une devanture de cuisine.

Alors, pris par la curiosité, on ne peut s’empêcher de fouler les riches tapis alignés jusqu’à la pièce du fond qui a tout de la bibliothèque d’écrivain avec ses rayons de bois clair, ses fauteuils accueillants, ses malles remplies de livres et ses tiroirs entrouverts qui laissent échapper des volumes prêts à tomber dans notre main avide.

Enfin, quand on apprend que certaines parmi les tables rondes du Livre sur les quais vont prendre place dans ce lieu qui correspond assez exactement à l’image idéale qui nous vient à l’esprit quand on évoque l’idée de librairie, on se met à se réjouir de pouvoir écouter des auteurs entre ces livres qui pourraient très bien leur appartenir, dans cette pièce qui pourrait très bien être leur salon, ce salon qui est aussi devenu, dès qu’on y a posé le pied, pour un moment le nôtre.

Mon meilleur souvenir au Livre sur les quais

– Pardon, excusez-moi: est-ce que je pourrais vous demander quel est votre meilleur souvenir au Livre sur les quais?

– Ma rencontre, accompagnée de ma fille, de Marc Levy, seul devant l’accueil, qui attendait le chauffeur, je crois... Quelques mots partagés sur la fatigue de son voyage, sur l’ambiance de Morges...

– Et vous?

– Quand on m’a demandé si je pouvais revenir l’année suivante...

– Moi, c’est quand on m’a apporté des bonbons à mon stand!

– Mon meilleur souvenir à moi, c’est mon échange avec Nancy Huston d’un exemplaire des «Baisers froids comme la lune» contre un «Infrarouge»... Parce que le peintre Guy Oberson avait fait la couverture de nos livres...

– La rencontre et dédicace de Nancy Huston... et le moment fou fou et photo avec Clémentine Célarié!

– Les filles de Morges!

– Douglas Kennedy qui me signe mon livre dans la rue... et me parle en français comme à une amie.