Rencontre avec Odile Cornuz

Merci à la RTS pour la réalisation et à Passion nautique pour le transport lacustre!

Rencontre avec Max Lobe

Merci à la RTS pour la réalisation et à Passion nautique pour le transport lacustre!

J’ai peur de l’orage

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

J’ai peur de l’orage. Voilà, c’est dit.

La brontophobie. C’est le joli nom que porte cette crainte démesurée et quelque peu enfantine qui m’assaille au moindre coup de tonnerre. Ce type d’intempéries provoque chez moi un sentiment d’insécurité tel, qu’il me donne juste envie de me recroqueviller dans un coin en attendant que ça passe.

Comme il vaut mieux connaître ses ennemis, et anticiper leurs frappes, je suis devenue une experte en la matière. Je sais parfaitement détecter les signes annonciateurs d’une « dégradation orageuse » et surtout, je ne manque jamais de consulter la météo avant toute activité de plein air.

L’année dernière, j’ai participé pour la première fois au « Livre sur les quais ». Et le souvenir que j’en garde est un souvenir… d’orage. Bien sûr, je n’ai pas oublié la gentillesse des organisateurs, les rencontres, les échanges avec le public et les auteurs. Tout ce qui fait que j’ai aimé ce salon et que je suis impatiente d’y retourner. Mais dans mon esprit phobique, l’image qui reste accolée à cet événement est celle d’un éclair, zébrant le ciel morgien à la verticale au-dessus du lac Léman.

J’étais arrivée sur le salon le samedi après-midi, sous un beau soleil, et la météo prévoyait des orages en fin de journée. Entre deux signatures, j’ai guetté les fameux signes annonciateurs et tendu l’oreille à chaque fois qu’une discussion s’orientait sur « la chaleur lourde » ou « l’orage de la veille ». En fin d’après-midi, lorsque j’ai quitté le salon et que j’ai longé le lac en direction de mon hôtel, les cumulonimbus pointaient déjà leurs nez.

C’est donc avec une certaine angoisse que je suis arrivée à la soirée des auteurs, dans la cour du Château de Morges. Un buffet à ciel ouvert, c’était une très belle idée, sauf que… Ça a commencé par la pluie, et les grondements se sont fait entendre, d’abord éloignés puis de plus en plus proches. J’ai essayé de rester digne aussi longtemps que possible, de garder un air détaché en dégustant mes petits fours. Mais j’ai fini par craquer et je suis rentrée à l’hôtel, un peu honteuse.

C’est sur le chemin que je l’ai vu. L’éclair au-dessus du lac. En toute objectivité, c’était un spectacle magnifique. En toute subjectivité, j’ai fermé les yeux pour ne plus le voir.

Du 5 au 7 septembre, si le temps est à l’orage du côté de Morges, peut-être aurez-vous une pensée pour moi…

Catherine Locandro

(Photo © David Ignaszewski - Koboy)

Notre Livre sur les quais

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

D’abord, c’est une longue ligne de chaises qui apparaît. Ensuite, seulement je vois les panneaux, avec des noms, des autrices et auteurs dessous, les uns à côté des autres, sans hiérarchie, ni prééminence. Je cherche alors celui avec mon nom, et un petit espace où me faufiler pour prendre ma place. Je la trouve, l’occupe. Ou plutôt : on me la donne, je la saisis. Je suis comblé d’être assis au banquet d’encre et de papier. Je regarde où je suis placé ; à côté de qui je me situe. Quel est mon voisin proche, le plus éloigné ?

Dans les grands banquets il y a un rituel au placement, et ici : qui s’occupe de l’attribution ? J’imagine des conciliabules ; une répartition : en âge, en sexe ? À partir du niveau des ventes, par aire géographique, en raison des thèmes traités par les auteurs ? Par un jeu de couleurs, en raison d’attirances sexuelles, des saisons ? Qui constitue ce cabinet de curiosité vivant : comment les auteurs sont imbriqués pour un tel banquet, répartis les bristols ? Cela se fait-il au hasard, en jetant des noms en l’air, ou par ordre alphabétique, afin que la succession des noms forme en soi le plus joli poème possible ? Le bandeau des noms du livre sur les quais. Il faudra l’écrire ce texte.

Ces noms et prénoms alignés forment une ligne d’horizon, ondulant comme des vagues parfois quand se lève le vent. Je jette un œil à celles et ceux qui m’entourent. Après tout, on va passer trois jours ensemble, en voisinage d’écriture. Des bénévoles ont des attentions simples – ils proposent de l’eau, demandent si ça va – Oui, ça va. –Vous avez faim ? – Oui, toujours. L’eau du lac est si bleue. J’aime cette longue bande d’écrivants qui font front commun au lac. Cette posture de méditants assis au coude à coude sur leurs chaises à une table commune. Base de travail.

Puis, des gens arrivent. Eux, ce sont le public, les lecteurs, des collègues, journalistes, des écrivains aussi, que sais-je, quelle importance d’ailleurs ? Des curieux, des enfants, des oiseaux même, que réunit la longue table du banquet. Une table c’est très peu,  et autour d’elle : les invités au banquet d’encre et de papier, festin de feuilles et de papiers mâchés. Ce sont eux qui ont commandé cette agape, en font toute la saveur. Ils composent leur menu en se léchant les babines, se baladant sur les quais, allant de l’un à l’autre, grappillant de quoi se nourrir un peu, ou alors dévorant des yeux seulement, se souvenant de vieilles aversions ou d’archaïques allergies, pour aller vers de nouvelles saveurs. Ballet de profil, ronde des visages qui se tournent, s’approchent ; des ventres qui se montrent – signe de vulnérabilité – ou des épaules anguleuses qui protègent la marche et parfois se font face. Attentes et générosités se saluent. Surprise des rencontres.

Ils me regardent de loin, me dévisagent, aller-retour du nom au visage et du visage au nom – mais non je n’ai rien à vendre… ou si peu. Ils cherchent un nom, une marque, une signature, un regard, une retrouvaille avec quelqu’un rencontré il y a longtemps déjà. Je ne suis pas Michel Thévoz, non. Mon prénom c’est Sylvain. Non, ce n’est pas mon oncle. Les Thévoz, ça pousse comme de la mauvaise herbe, vous savez. Ils recherchent un ami rencontré au travers d’une lecture. Ils guignent un amant fantasmé qui sait, jamais croisé, entré pourtant dans une forme d’intimité ; dans la réalité entravé.

Approchez-vous,  je vous le promets, je ne mords pas, mais j’ai toujours faim. Je ne plante pas les crocs. Il n’y a rien à craindre, juste courir le risque de la rencontre, c’est très peu. Ce n’est pas épuisant. Je ne serai pas offensé si vous feuilletez ces petits livres, vous en détournez. Vous pouvez les soulever et les reposer même ; comme un menu, le feuilleter négligemment, juste pour saliver. Tournez les pages. Ce sont des poèmes, oui, une forme étrange, difficile peut-être ; moi-même parfois je m’y perds, me demande à quoi cela sert. À quoi bon. – Ce que ça raconte ? Je vais essayer de vous l’exprimer, mais vous, dites-moi d’abord comment vous vous appelez. Mon nom est sur une pancarte, mais le vôtre est plus caché. Nous avons le temps pour nous, rien ne presse. Nous ne sommes pas sur un quai de gare ici. Il n’y a pas de coups, pas de feux.

Enfin, face à face, ou au coude à coude, c’est plus que la relation que nous célébrons, c’est bien plus que cela, ce qui la situe, en trace les contours et la mémoire. C’est un livre, ouvrage commun que nous écrivons.

Notre livre sur les quais.

Sylvain Thévoz

(Photo © Eric Roset)

En tout cas, vivement septembre !

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré le mois de septembre.

J’étais une élève studieuse qui aimait l’école et j’étais heureuse quand les deux mois et demi de vacances touchaient à leur fin d’en reprendre le chemin.

En attendant le jour J, j’avais naturellement reçu un nouveau cartable, une nouvelle trousse, des cahiers tout neufs, des stylos qui ne demandaient qu’à être utilisés, des cartouches d’encre à foison, un stabilo et un effaceur. J’avais hâte de pouvoir surligner, raturer, effacer, écrire… Oui, écrire surtout. J’étais prête !

Premier (et pas des moindres) salon de la Rentrée, « Le livre sur les quais » prolonge l’excitation de mon enfance. Dès l’instant où je réponds « OUI » à l’invitation, je commence quelques emplettes. J’achète des feutres normaux, des marqueurs pour écrire sur le papier glacé de certains de mes albums, des paillettes, des gommettes… Un petit carnet pour les nouvelles idées. Qui sait ? En tout cas, vivement septembre !

La veille des signatures, j’ai du mal à m’endormir. Comme une veille de Rentrée... C’est loin d’être mon premier salon, mais c’est la première fois que je viens à Morges pour dédicacer. Et Morges, c’est une sorte de Graal… Un nom de salon qu’on se murmure : « Tu as déjà été invité « Au Livre sur les Quais ? ». Ceux qui disent « oui » ont le visage qui s’éclaire, les autres affichent une mine un peu triste : « Non. Mais j’aimerais bien. Il paraît que c’est super ! ».

Je contrôle une dernière fois le contenu de mon sac pour le lendemain : ma trousse, mes feutres, mes marqueurs, mes paillettes et mes gommettes. Et mon carnet.

Je vérifie mes horaires. 10h00. J’arriverai à pied, depuis l’hôtel « La fleur du lac », en longeant le Léman. J’ai repéré le trajet. C’est simple, c’est tout droit.

9h45. Nous sommes là : auteurs jeunesse, romanciers, essayistes… Impatients, fébriles, contents. Nous nous saluons d’un signe de tête, embrassons celles et ceux que nous connaissons, pour les avoir croisés au gré de nos différentes pérégrinations littéraires. Et puis nous pénétrons sous l’immense tente blanche.

« Où suis-je placée ? À côté de qui m’a-t-on installée ? »

Je repère ma place. Il y a tous mes livres. J’espère que Zoé, ma Princesse Parfaite et que mes Coquinettes auront du succès. Caroline, illustratrice jeunesse, vient se glisser à mes côtés. C’est chouette, nous nous connaissons, nous allons, si nous avons le temps, pouvoir poursuivre la conversation entamée en mai, à la Croix Valmer. Et parler du projet que nous avons en commun. Derrière moi, je repère Mymi. Plus loin, il y a Christine, Jean-Claude et les autres. On se fait « coucou » et on mime qu’on se retrouve après, pour le repas du midi. « Garde-moi une place »…

Soudain, le chapiteau se remplit de bruits. Les bénévoles viennent de faire rentrer le public. C’est le début du week-end au « Livre sur les quais ».

J’espère que l’année prochaine, je serai encore là. J’ai repéré un stylo sur la table d’un « collègue ». Il glisse super bien sur le papier. J’ai noté la référence et je l’achèterai. Et c’est à Morges que je le testerai en premier.

Fabienne Blanchut

(Photo © AdS, LSQ, M.F. Schorro)