La liberté de partager

Chaque semaine, un auteur nous dévoile son univers

 

On m’a souvent posé la question : quel est le livre qui t’a donné envie d’écrire ?
A chaque fois, je me retrouve avec la même angoisse.
Que répondre ? Que dire ?
J’ai beau farfouiller dans ma mémoire, décortiquer chaque livre lu dans mon enfance, mon adolescence, rien ne me saute aux yeux.
Pourtant, j’en ai lu tellement. Et on m’en a lu tellement.
Mais pourquoi est-ce que je m’inquiète ?
Le fait que je ne puisse répondre à cette question est tout à fait normal.
Tout simplement parce que ce qui m’a donné envie d’écrire, ce n’est pas la lecture, ni même un livre en particulier.
Non.
Le goût de l’écriture, je l’ai trouvé adolescente, lorsque grâce – oui je dis bien grâce – à une punition, j’ai dû rédiger une rédaction sur un thème libre de mon choix. Mon imagination déjà très volubile s’en est donnée à cœur joie. J’ai rempli les quatre pages exigées avec une ardeur, que dis-je ?, une ivresse même, encore inconnue. C’est à ce moment précis qu’est née mon envie de raconter la moindre histoire qui me passe par la tête.
Très vite, ces mêmes histoires ont eu pour décor l’Ecosse, pays si cher à mon cœur, qui reste étranger à beaucoup d’autres.
Ecrire est pour moi synonyme de partage. A travers un livre, un roman, on partage une vision, un idéal, qui parfois n’existent que dans l’imaginaire, mais qu’on aimerait s’efforcer de reproduire. Chaque histoire que j’ai écrite m’en a fait découvrir un peu plus sur moi-même, mais aussi sur l’être humain en général. Et lorsqu’est venu le moment d’attaquer La Trilogie du Sutherland, et en particulier son premier tome, La Pupille de Sutherland, j’avais le désir de découvrir une autre époque, un autre mode de vie, celui, peut-être ?, de mes ancêtres. Dès son premier chapitre, ce roman trahit une envie de liberté totale, cheveux au vent, sans contrainte. C’est ce que représente, pour moi, mon écriture.
L’évasion.
La liberté.
Chacun de mes romans est abordé différemment. Ils ont leur vie propre, et ma plume ne fait que retranscrire les mots qu’ils partagent avec moi, afin que vous aussi, puissiez être touché par eux. Si l’Ecosse reste ma terre de prédilection, j’ai également envie de découvrir d’autres univers, d’autres terres, peut-être d’autres époques. Seul l’avenir, et mon imagination fertile me diront quelle sera la première phrase de mon nouveau roman.

Rachel Zufferey

Découvrez dès aujourd’hui la contribution de Julien Sansonnens à notre blog, « la première phrase », une réflexion sur les premières phrases de roman

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La première phrase

Chaque mercredi, un auteur nous dévoile son univers

La première phrase d’un roman: quel poids ! Quelle écrasante responsabilité ! Il y a la première, et d’elle découlent toutes les autres. La première, dont on attend qu’elle vous plante un décor, vous pose un style, vous asseye une intrigue. C’est une piqure, un taon littéraire, vous lézardiez doucement, vous avez contemplé la couverture ― idéalement elle ne comportait aucune image, vous avez lu le litre, survolé la dédicace peut-être, vous sortez à peine de votre langueur et puis voici la première phrase, celle sur laquelle à coup sûr l’écrivain s’est arrêté un peu plus longtemps, celle qu’il a raturée, fignolée, rallongée parfois, raccourcie souvent, ou celle qui s’est imposée à lui comme ça, dans la rue ou au café, pendant qu’il prenait sa douche, ou qu’il se masturbait, ou qu’il rajoutait de l’huile dans sa voiture, allant parfois jusqu’à lui suggérer le reste, intrigue, personnages, trame, fonds et formes, le tout venant à lui en une fraction de seconde, l’ensevelissant littéralement. Par cette phrase initiale, l’écrivain demande votre attention, les choses sérieuses commencent ici, nous y voilà, il vous prend la main et vous tire à lui, vous voudriez partir mais il vous serre un peu plus fort l’avant-bras, pour peu ça serait douloureux mais c’est pour votre bien, c’est un enlèvement ― vous y consentez ― disons que vous n’avez plus votre mot à dire désormais, c’est à lui, l’auteur, d’avoir le sien.
Il y a quelques exemples célèbres. Des précédents fameux. «Maman est morte». «Se coucher de bonne heure». «Un trou, où vivait un hobbit». La première phrase du Livre de la Genèse est très réussie ; celle du Manifeste du parti communiste n’est pas mal non plus. C’est un autre genre.
Mon prochain roman pourrait bien commencer ainsi : «Quelqu’un lui a demandé une cigarette.». Je dis «pourrait» car cela va être retravaillé, comme tout le reste; une année de besogne encore, au moins, jusqu’à une éventuelle édition. Qui a dit qu’écrire était facile, que cela coulait tout seul ? Quel bélître suffisant est capable de ce genre de crucherie ? N’ayant pas le talent de l’immédiate excellence, je tripatouille un moment, coupe et colle, court après ma conjugaison, teste mes synonymes… Une bonne partie du travail consiste à supprimer, je biffe mots, phrases, chapitres entiers; chaque écrivain sait combien cela coûte. Je fais décanter mon texte, dans le sens «eaux usées» du terme: j’attends que la matière plus lourde se dépose sur le fond, et je ne garde que le dessus, quand l’odeur s’est éventée. Ou, pour le dire de manière plus fleurie, je cherche à faire émerger la statue du bloc de glaise, j’arrache de grands morceaux d’abord, je le fais avec enthousiasme, j’en mets partout, c’est très gras et salissant, puis je travaille à la lame, je fignole enfin, toujours plus précis, toujours plus méticuleux, jusqu’au résultat escompté, ou jusqu’à ce que le texte, à force d’être relu, remâché puis régurgité finisse par devenir abstrait, étranger à son auteur, alors c’est que le moment est venu. Il doit être encore soumis à l’épreuve de la lecture orale, et puis il vivra quelques mois avant de s’éteindre dans la solitude des bibliothèques, de se faner sur quelque rayon d’une librairie, dans la remise de quelque distributeur; pour ce qui vous concerne, vous serez passé à autre chose depuis longtemps… Ainsi vont les livres.

Julien Sansonnens

Pour bien commencer la semaine, profitez de la dernière vidéo de notre booktubeuse Margaud Liseuse!

Cette semaine, c'est l'auteur jeunesse Anne-Laure Bondoux qui est présentée. Par ici pour visionner la vidéo!

Cette semaine sur le blog des auteurs, Florian Eglin se raconte dans « Comme un boucle »

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Comme une boucle

Chaque mercredi, un auteur nous dévoile son univers

Se demander comment ou pourquoi les choses ont commencé, de drôles de choses, c’est tirer un fil, il est rouge et torsadé, qui peut ramener loin en arrière. Pour ma part, il y a une sorte de «trinité» immense qui trône aux sources de mon désir d’écriture, une trinité à fois auguste et goguenarde. Pour évoquer l’un de ses membres, c’est un saut de plus de vingt ans dans le passé que je m’apprête à effectuer. Pour cela, il me suffit de promener la main le long des rayonnages de ma bibliothèque pour parvenir à la lettre «D».
Là, c’est Philippe Djian au complet qui me toise de toute la longueur de la rangée qu’il occupe presque entièrement. J’en tire Échine et Lent dehors. Ce sont les éditions de l’époque de Bernard Barrault, de beaux formats un peu allongés, consistants. Je les ai lus alors que j’étais au collège, j’avais dix-sept ou dix-huit ans, l’un d’entre eux m’avait été prêté par un ami enthousiaste et, emballé à mon tour, je m’étais procuré l’autre.
Ce sont ces lectures-là qui, dans un premier temps, m’ont insufflé, en une brise chaude et obsédante, le désir de devenir écrivain à mon tour. Il y avait dans mon souvenir, ce mélange de certitude, impossible de faire autre chose qu’écrire, non, de poisse, mais qu’est-ce qu’il faut ramer, oui, une forme de solitude, une façon de tirer le diable par la queue avec un rictus désabusé sur la gueule, de l’amertume, de la lumière, et tout était sublimé, dans mon regard de jeune adulte, par l’envie de devenir ce type, là, qui écrit et qui résiste. Pour être honnête, il y avait aussi une belle voisine, et sans doute que les scènes de sexe hautes en couleur dont Djian détenait alors le secret, il y avait ces grottes dont des sucs salés coulaient avec abondance, y étaient aussi pour quelque chose, dans ce désir de devenir écrivain.
À partir de tout cela, je m’étais forgé une certaine image de l’auteur, une image forcément trop romantique, presque mythique, comme une silhouette altière, découpée par le soleil levant, un avatar inatteignable, une image qui, bien sûr, ne fut pas féconde tout de suite, loin de là, et peut-être tant mieux, mais qui m’habita longtemps, qui m’habite encore, parce que cette silhouette au loin, hiératique et hautaine, j’aimerais que ce soit la mienne.
Ce n’est que peu avant quarante ans que je fus enfin à mon tour capable de trouver, ou peut-être de retrouver, ce que j’avais à dire, à ma manière, pour dans une sorte de grand mouvement continu écrire presque dans la foulée les trois tomes de la trilogie Solal Aronowicz. Peu après avoir achevé la rédaction du dernier volume, un peu sonné et désoeuvré à la fois, cette dernière ligne droite m’a beaucoup coûté, par l’un de ces petits clins d’oeil malins dont la vie a parfois le secret, j’ai justement eu la chance de participer à un atelier d’écriture donné par Philippe Djian en personne, Marcher sur la queue du tigre, à la Maison de Rousseau & de la Littérature à Genève.
C’est donc en présence, une présence qui n’avait évidemment rien à voir avec cette image aussi religieuse qu’inepte que je m’étais forgée, de l’écrivain qui représente une de mes premières sources d’inspiration que la première phrase de mon prochain roman, une petite histoire méchante et jubilatoire que j’eus beaucoup de plaisir à mettre en mots, j’avais besoin de me défouler, a été écrite. Pour une fois, elle est plutôt courte, la voilà: «Bien des années après, quand ce connard a planté un stylo-plume décoré de chrysanthèmes et de paulownias profond dans mon ventre, j’ai compris qu’il irait jusqu’au bout, avec méthode, avec passion.»

Florian Eglin

André Malraux et le goût de l’aventure: Raphaël Aubert nous parle de ce qui l’a pousé vers l’écriture cette semaine dans le blog des auteurs

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L’histoire malmenée de notre monde

Chaque mercredi, un auteur nous dévoile son univers

Plutôt qu’un livre ou des livres qui m’ont marqué, ce sont des auteurs, aussi bien leur vie que leur œuvre, une certaine posture, qui ont suscité en moi le goût d’écrire. A commencer bien sûr par André Malraux.
Je suis assez âgé pour me souvenir de son appel en faveur des combattants de ce qui alors ne s’appelait pas encore le Bangladesh. Avant cela, c’est à une professeur de collège que je dois d’avoir découvert Les Conquérants. J’avais treize ou quatorze ans. Je n’y comprenais pas grand-chose, mais j’étais fasciné. Depuis, je n’ai plus cessé de lire et de relire Malraux à qui j’ai consacré trois essais; je suis aussi l’un des auteurs du Dictionnaire Malraux (Paris, CNRS Editions, 2011).
Si je suis devenu journaliste, c’est sans doute à défaut d’avoir pu être  –  cela fera sourire  –  un aventurier. Ceux-ci d’ailleurs n’existent plus depuis longtemps, ainsi que le déplore Clappique dans les Antimémoires. «A gauche l’Inde, au nord le Siam, à droite la Chine et l’Indonésie…» A la suite de Malraux, j’ai mis mes pas dans les siens. Mon dernier roman, La Terrasse des éléphants, qui en est à sa troisième édition, se passe en partie au Cambodge. Mais plus encore qu’un décor, il lui doit un certain décentrement, une façon de se comprendre grâce et par l’autre. Et avec Malraux, en ces temps de retour de la barbarie, je veux à toute force croire que «la culture est l’héritage de la noblesse du monde.» La culture, qui «ne connaît pas de nations mineures», qui «ne connaît que des nations fraternelles.»
Malraux, mais aussi Aragon, cet impeccable romancier. L’Aragon du « Monde réel »  –  un peu nos Buddenbrook  –  et bien sûr de La Semaine sainte. L’un des plus beaux romans historiques que je connaisse, qui nous raconte cette chevauchée prodigieusement inutile vers le néant de la maison du roi lors des Cent-Jours. L’Aragon de La Mise à mort: «Ne te regarde pas comme cela dans la glace – dit Fougère». Toute écriture est un miroir dans lequel l’écrivain scrute son fuyant visage. C’est peut-être pourquoi j’ai tenu et publié à deux reprises un Journal. Toute littérature est peu ou prou écriture de soi, écriture du moi. Autofiction, dit-on aujourd’hui.
Je pourrais évidemment citer bien d’autres noms encore. J’en mentionnerai un: Jean Cocteau, l’artiste total. Cocteau, plus que jamais notre contemporain capital. A son propos, j’éprouve une sorte d’affection. Et le relire, l’entendre parler, revoir ses films, regarder ses dessins  –  j’ai passé plusieurs étés à Villefranche-sur-Mer  – me redonne courage, me rend quelques certitudes: «Ce que le public (la critique, les gardiens du temple littéraire, les philistins, la mode, les engouements passagers), ce que le public te reproche, cultive-le : c’est toi !»
De mon prochain roman, je ne vous dirai bien sûr rien. Encore que Cocteau, les miroirs, l’histoire malmenée de notre monde, voilà qui constitue déjà quelques indications. Quant à la première phrase, elle pourrait être en forme de question :
«– Vous êtes ici parce que vous y avez été actif autrefois ?».

Raphaël Aubert

Cette semaine, Joseph Incardona nous livre « deux ou trois choses » qu’il sait de la littérature…. A dévorer sans modération!

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Deux ou trois choses que je sais d’elle

J’avais 22 ans, je ne lisais quasiment plus après une enfance et adolescence à dévorer des bandes dessinées et les romans de Bob Morane ou de la bibliothèque verte. Comme le raconte si bien Bukowski dans sa préface à Ask the Dust  (John Fante), où que je regarde, j’avais l’impression que les étagères de la bibliothèque publique se moquaient de moi: la littérature ne me renvoyait aucun écho avec ma propre vie, mes expériences. Je cherchais des amis, mais n’en trouvais aucun, et j’ai fini par laisser tomber. Au fond, ce que je demandais était simple: de la surprise, de la remise en question, de la proximité, du style qui ne se lèche pas les doigts, de l’ironie. Du haut de ma jeunesse et de mon inculture – je n’ai pas été éduqué à lire – je cherchais instinctivement un jaillissement, une étincelle qui mette le feu et me ravage.
Bien sûr, je n’avais pas rencontré les bons. Ils arriveraient, pour sûr.
Je menais depuis trois ans des études poussives à l’université. Études que je me payais tout seul après avoir terminé mon baccalauréat. Mon père était un dur: il avait commencé de travailler à l’âge de 15 ans et voyait dans la fin de ces études intermédiaires qu’il entretenait avec ma mère (je bossais l’été, mais ça c’était pour me payer les vacances), comme une extrême limite au bon sens. Sans doute, n’avait-il pas tout faux… Bref, je suivais des cours de Science po à la fac, j’aimais bien la sociologie, l’écologie politique, alors je lisais les livres de socio et d’éco politique. Bien souvent, je manquais des cours à cause de mes boulots à la con: livreur de pizza, vendeur de détecteurs de faux billets, manutentionnaire… D’étudier me permettait de rencontrer des filles, de faire la bringue et de retarder l’échéance d’un constat désolant : aucun métier ne trouvait grâce à mes yeux. Mais au-delà du métier en lui-même, j’avais l’impression que l’arnaque était de taille, celle d’une société dont le fonctionnement réduisait le rôle de l’individu à une portion congrue au lieu de dégager ses potentialités. Peut-être que les germes de Proudhon ou de Marcuse faisaient grandir en moi la petite graine du refus, je n’en sais rien… (Je raconte tout cela, d’ailleurs, dans trois de mes romans « autobiographiques »: Le Cul entre deux chaises, Banana Spleen (épuisé, mais bientôt réédité), et un livre à venir en 2016: Permis C, tous trois publiés chez BSN Press). Quoi qu’il en soit, au bout du compte, je me suis convaincu que le journalisme serait ma voie. En dernière année de fac, je décroche une formation dans un quotidien local, le but étant de me faire engager par la suite et d’obtenir ma carte du registre professionnel.
Mais j’ai très vite déchanté. Le rédacteur en chef me gardait le soir au bureau pour que je réécrive mes articles. Je tapais sur une Olivetti Lettera 32, mes doigts étaient rouges et gonflés. Et là, j’ai compris comme une révélation, qu’au fond ce que je souhaitais, c’était écrire des histoires et non pas des articles. L’écriture serait ma bouée pour ne pas me sentir inutile à moi-même et au monde, faire de ma vie quelque chose qui me ressemble, ne pas suivre les traces du mode d’emploi développé à mon insu. Alors, bien sûr, entre le moment où j’ai pris cette décision et ma première publication à compte d’éditeur, beaucoup de temps a passé. Orienter sa vie vers l’écriture demande de la patience, de la pugnacité, de l’inconscience et peut-être aussi une légère dose d’arrogance. C’est aussi une forme de lutte et de combat qui va au-delà de l’écriture elle même : écrire équivaut à s’affirmer soi-même, à ne rien lâcher, à ne pas céder aux sirènes d’une vie confortable. Il faut être prêt à rester longtemps en marge et sur la brèche.
Alors, chaque fois que je publie un livre, ma joie est la même. Je ne sais pas ce que signifie d’être blasé. Aujourd’hui, je présente au « Livre sur les Quais » mon dernier roman Derrière les Panneaux, il y a des hommes (Finitude, 2015). L’histoire se déroule sur trois jours, entièrement sur une autoroute… Bouger pour ne pas mourir, comme le requin blanc.
Voilà, il n’y a pas de leçons à donner: seulement écouter, regarder, prendre la vie à bras le corps. Écrire, c’est un peu de liberté gagnée pour soi-même.

Joseph Incardona